Le reporter Martin Weill a réalisé cette année un grand format intitulé “Les Etats Désunis d’Amérique”, décrivant les oppositions dans la société américaine à quelques semaines d’une échéance particulière : le 8 novembre, les électeurs américains ont voté pour les élections de mi-mandat, les midterms. Ce scrutin relève d’enjeux importants, d’autant plus pour le Président Biden, élu en 2020, aujourd’hui à la tête d’une nation plus divisée que jamais. Voici la première partie d’une analyse de ces midterms, réalisée avant la date fatale du 8 novembre.
Un fonctionnement complexe
Les élections de mi-mandat, aux États-Unis, correspondent en quelque sorte à nos élections législatives, en France : les citoyens élisent leurs représentants. Le Congrès, l’équivalent du Parlement, est constitué de deux chambres, et compte au total 545 sièges. La première chambre, la Chambre des Représentants, compte de 435 élus, qui représentent chacun un district de leur État. Ils sont élus pour deux ans. La seconde chambre est le Sénat, aussi appelé la Chambre haute. Elle est constituée de deux représentants des cinquante États, soit 100 sièges en tout. Les sénateurs ont des mandats de six ans ; ainsi, un tiers du Sénat est réélu tous les deux ans.
Cette année, les Midterms renouvellent toute la Chambre des Représentants, et 35 sénateurs. Avant les élections, les Démocrates (le parti du président Joe Biden) ont la majorité dans les deux chambres, mais de peu : les Républicains ont besoin de cinq sièges pour faire basculer la Chambre des Représentants en leur faveur. La situation du Sénat est encore plus tendue : les Démocrates n’ont la majorité que grâce à la vice-présidente Kamala Harris, qui a le vote décisif.
Un État peut être des deux couleurs


De plus, les 8 novembre, les Américains habitant dans 39 des cinquante États élisent également leur gouverneur : le « président » de leur État. Cela signifie que les deux partis mènent des campagnes à plusieurs échelles, et qu’un État peut être des deux couleurs : il peut élire des représentants démocrates, donc être « bleu » au Congrès, et un gouverneur républicain, donc être « rouge » dans leur État.
Cette contradiction s’observe notamment dans l’État de Géorgie. Les deux candidats au poste de sénateur sont au coude à coude : le démocrate Raphael Warnock, soutenu par l’ancien président Barack Obama, et le républicain Herschel Walker, poulain de Trump. Cet ancien joueur de football américain est noir, ouvertement antiavortement et radicalement conservateur. Cependant, il est rattrapé par ses contradictions : en 2009, il a payé pour que son ex-petite amie se fasse avorter.
En ce qui concerne la représentante à la Chambre, Marjorie Taylor Greene est candidate à sa réélection. Soutien de Trump, elle est notamment connue pour avoir tenu des propos antisémites et conspirationnistes. Elle a promis de lancer une procédure de destitution contre le Président Biden si les Républicains sont en majorité au Congrès.
Quant au poste de gouverneur, la star du parti démocrate Stacey Abrams, soutenue par Barack Obama, se présente de nouveau, après avoir perdu de peu face au Républicain Brian Kemp en 2018.
Dans l’État de Géorgie, il est aujourd’hui impossible de prévoir qui sera élu, et ce que générera ce résultat.
Des enjeux importants
« L’égalité et la démocratie sont en danger »
Joe Biden, Président des États-Unis
Les enjeux de cette élection de mi-mandat rappellent ceux de l’élection présidentielle de 2020, remportée par Joe Biden. Celui-ci affirme que « l’égalité et la démocratie sont menacées ». Et de fait, de nombreux Républicains sont des « election deniers » : des « négateurs » d’élection, qui ne reconnaissent pas la victoire de Joe Biden.
Le même processus s’exerce depuis quarante ans : les Midterms amènent au Congrès le parti qui a perdu les élections présidentielles deux ans auparavant, et chaque président fait avec un gouvernement divisé. Cette année ne fait pas exception : il est fort probable que les Républicains aient la majorité à la Chambre. Cependant, de nombreux Républicains sont restés fidèles à l’ancien président Donald Trump, et refusent de reconnaître la légitimité de Joe Biden. Le parti ne comporte presque plus de modérés, car les dissidents ont été « purgés ». Après l’insurrection du 6 janvier 2021 et la marche vers le Capitole plus ou moins ordonnée par Trump, sa destitution a été soumise au vote des représentants ; sur dix Républicains qui ont voté pour, seuls deux sont de nouveau candidats : les huit autres sont partis à la retraite ou ont perdu les primaires de leur État.
Ainsi, la moitié des membres probables de la future majorité républicaine à la Chambre ont nié ou émis des doutes sur les résultats de l’élection de 2020. Or, ces nouveaux élus seront toujours présents quand le Congrès devra certifier les résultats de l’élection présidentielle de 2024. Ils auront alors tout loisir de contester les résultats, et donc de menacer la démocratie, comme le craignent les Démocrates.
La moitié des membres probables de la future majorité républicaine à la Chambre ont nié ou émis des doutes sur les résultats de l’élection de 2020.
Les Républicains s’organisent déjà en cas de majorité à la Chambre : ils prévoient, comme à l’habitude après des élections, d’attribuer les postes à responsabilité en guise de récompense aux « fidèles » – qui sont pour certains ultra-conservateurs, complotistes, antisémites, voire même des agitateurs… Ils veulent s’attaquer aux Démocrates, à travers la personne du président, en s’attaquant par exemple à son fils, Hunter Biden, emmêlé dans des affaires douteuses de drogue, de fisc, d’armes, de pornographie, le tout dévoilé par une « fuite » de données informatiques largement récupérées et instrumentalisées par le parti républicain. Celui-ci veut ouvertement paralyser l’administration fédérale, pour imposer ses mesures : réduction du budget fédéral pour contrôler l’inflation, limiter le financement des aides à l’Ukraine, possiblement limiter les mesures concernant les droits humains au niveau fédéral, etc.
Après les élections, des affrontements paraissent inévitables à la Chambre. Les électeurs trumpistes qui veulent annihiler l’administration Biden en sont heureux ; quant aux citoyens modérés, et les indépendants (qui ne votent pas pour les candidats des deux grands partis républicain et démocrate), ils se leurrent s’ils espèrent autre chose que le chaos au Congrès.
Des thèmes d’actualité
Lors des campagnes menées par les candidats aux postes de représentant, de sénateur ou de gouverneur, les différents thèmes abordés ont reflété les divisions qui déchirent la société américaine aujourd’hui.
La crise est sur tous les fronts
Au début de la campagne, et jusqu’à une semaine avant les élections, le parti démocrate concentrait son discours sur les droits humains, et notamment l’avortement. Le fait que ce droit ait été abrogé de la loi fédérale a créé un électrochoc dans la société : certains s’en sont réjoui, mais d’autres, qui pour la plupart votent démocrate, en ont été navrés. Ainsi les candidats démocrates ont fait valoir le fait que, s’ils arrivaient en majorité au Congrès, ils pourraient tenter de remédier à cette situation, ou, dans une moindre mesure, empêcher les Républicains de rogner encore plus les droits humains.
Mais le pays fait face au pire taux d’inflation depuis quarante ans : les Démocrates ont fini par s’emparer du sujet, déjà largement médiatisé par les Républicains. Les autres thèmes concernent eux aussi la vie quotidienne des citoyens : la santé, l’immigration, l’écologie, les armes à feu, l’augmentation de la criminalité…
Aux États-Unis, la crise est sur tous les fronts. Cependant, 71 % des citoyens pensent que leur démocratie est en péril, et 7 % voient même ce problème comme étant encore plus menaçant que l’inflation et la crise économique, et le plus important du pays.
Zoom sur…
… l’Oregon

L’État de l’Oregon est un bastion démocrate depuis 1987. Mais le soutien financier de l’ancien PDG de Nike, Phil Knight, à la candidate républicaine, change la donne.
Les Républicains devancent les Démocrates grâce à l’arrivée d’une troisième candidate, indépendante des deux partis. Celle-ci est plutôt centriste et « siphonne » les voix démocrates. Les deux candidates opposées à la démocrate ont reçu un financement important de la part de Phil Knight : entre trois et quatre millions de dollars chacune.
« La démocratie n’est pas une affaire de milliardaires, Phil Knight ou qui que ce soit d’autre, qui achètent des votes ! »
Bernie Sanders, démocrate
Le résultat de l’élection est donc très serré : cela montre l’influence que peut avoir un milliardaire sur la démocratie, capable à lui seul de rebattre les cartes d’un scrutin. Bernie Sanders, ancien candidat à la primaire démocrate, était en colère lors d’un meeting de soutien à la candidate démocrate : « La démocratie n’est pas une affaire de milliardaires, Phil Knight ou qui que ce soit d’autre, qui achètent des votes ! »
L’image de l’ex-patron s’oppose à celle, progressiste, recherchée par la marque. Celle-ci tente de se poser en défenseur des minorités. « Je suis plus conservateur que Nike », affirme Knight.
… le Wisconsin

Dans cet État comme dans tout le pays, les partisans démocrates et les partisans républicains s’opposent. Mais certains électeurs sont découragés, et pensent que le vote ne changera pas les choses.
Les habitants constatent les divisions dans leur pays : les élections semblent truquées, les gens opèrent un repli sur eux-mêmes et sur leur communauté… Certains candidats étaient au Capitole lors de l’insurrection du 6 janvier 2021. Ces Trumpistes peuvent accéder au pouvoir et refuser le résultat de la future élection présidentielle s’il ne leur convient pas. Cependant, de nombreux électeurs sont prêts à voter pour des « négateurs », qui refusent la victoire de Joe Biden et la défaite de Donald Trump. 71 % des électeurs républicains sont en effet prêts à voter pour un candidat qui considère que l’élection de 2020 a été volée.
Certains électeurs sont découragés, et pensent que le vote ne changera pas les choses.
Personnalités
Paul Pelosi

Le vendredi 28 octobre, Paul Pelosi, le mari de Nancy Pelosi, Présidente de la Chambre des Représentants, a été attaqué à son domicile, à San Francisco. David DePape, l’attaquant, dit qu’il était en « mission suicide », qui visait Nancy Pelosi, alors à Washington DC. Il a frappé l’homme de 82 ans avec un marteau à la tête et aux bras.
Le vendredi, autour de 2h30 du matin, la police a été appelée car David DePape, ressortissant canadien résidant illégalement en Californie, s’était introduit au domicile des Pelosi à San Francisco. Il a utilisé un marteau leur appartenant pour menacer Paul Pelosi et le frapper, en criant « Où est Nancy ? », devant la police. Paul Pelosi a été hospitalisé pour ses blessures au crâne, aux bras et aux mains. L’assaillant a été arrêté. Il a expliqué ses intentions : il « projetait de s’en prendre à plusieurs personnalités politiques éminentes dans le but de combattre les mensonges proférés à Washington DC ». Il encourt une peine de prison pour de multiples chefs d’accusation : agression avec une arme mortelle, tentative de meurtre, tentative d’enlèvement, cambriolage, menace d’une personne publique, maltraitance de personnes âgées. David DePape a plaidé non coupable pour tous ces chefs d’accusation.
Cette attaque fait écho à l’irruption des manifestants au Capitole le 6 janvier 2021. Ceux-ci scandaient « Nancy, Nancy », qui en tant que présidente de la Chambre des Représentants symbolise la démocratie et le pouvoir détenu par les Démocrates.
Si Joe Biden qualifie cette attaque d’« ignoble », certains Républicains ironisent : à propos du « port » du marteau, qui serait réglementé comme le port d’armes, ou encore sur la protection des Pelosi : Paul n’est protégé que lorsqu’il est avec Nancy, qui, elle, a un garde du corps. Le nouveau patron de Twitter, Elon Musk, qui a annoncé la veille de l’élection qu’il allait voter Républicain, a quant à lui relayé une théorie du complot sur l’attaque, avant de supprimer son message quelques heures plus tard – ayant laissé assez de temps pour qu’il soit relayé par des milliers de personnes. Cette attaque ne laisse augurer rien de bon : de plus en plus d’Américains semblent vouloir une ère de violence politique. Après la perquisition du FBI de la maison de Trump en août 2020, qui a permis de dévoiler le vol de dossiers classés, certains ont appelé à la guerre civile. Les États-Unis sont-ils en train de devenir des « États Désunis » ?
Les États-Unis sont-ils en train de devenir des « États Désunis » ?
Barack Obama

L’ancien Président, en poste entre 2008 et 2016, est impliqué dans la campagne : il « vient en aide » aux candidats démocrates en faisant des happenings durant leurs meetings. Son soutien est apprécié car il est encore une personnalité très influente et appréciée : Barack Obama fait de l’humour, il évoque des sujets clivants, il se montre proche des électeurs. Il confie que faire campagne aujourd’hui est plus difficile qu’à son époque (pourtant pas si lointaine…) : « Pas seulement parce que je suis plus vieux et grisonnant. On a le sentiment que les fondations mêmes de la démocratie sont en péril. »
« On a le sentiment que les fondations mêmes de la démocratie sont en péril. »
Barack Obama
Sophie Anglade – 2022