Liberty Valance par Marie-Lou

L’Homme qui tua Liberty Valence

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Je vais vous présenter le western Américain réalisé en noir et blanc par John Ford, en 1962. Il s’agit de L’Homme qui tua Liberty Valence. J’analyserai plus particulièrement l’ouverture du film (13 premières minutes), car cet extrait est important pour comprendre à quel point cette œuvre s’inscrit dans l’histoire du genre du western tout en lui rendant hommage. C’est pour moi un film exemplaire, par sa structure parfaitement travaillée, ordonnancée, et la richesse de ses plans et de ses significations, que j’ai envie de partager avec vous.

John Ford :

John Ford est un réalisateur Américain qui a tourné une dizaine de westerns (comme : Le Ranch Diavolo, 1917, La Chevauchée fantastique, 1939, La Poursuite infernale, 1946, La prisonnière du désert, 1956, Les Cavaliers, 1959…) entre les années 1920 et 1960. Mais il a également tourné des films de genre dramatique : par exemple Le Mouchard, 1935 mais aussi policier avec L’Homme tranquille, 1952, et un film de guerre avec La Bataille de Midway, 1942. Il excelle dans les westerns et a mis en valeur de magnifiques acteurs américains comme le fut John Wayne.

Les acteurs :

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John Wayne dans le rôle de Tom Doniphon

Vera Miles dans le rôle de Hallie Stodardd

James Stewart dans le rôle de l’avocat Ransom Stodardd

Dans ce film j’ai découvert de grands acteurs du cinéma Américain des années 60 :

  • John Wayne a beaucoup travaillé pour John Ford, dans plusieurs westerns (La Charge Héroïque, 1949, Rio Grande, 1950…) et pour le réalisateur Howard Hawks (La Rivière rouge, 1948, Rio Lobo, 1970…).

  • Vera Miles a travaillé avec Alfred Hitchcock (Le Faux Coupable, 1956, Psychose, 1960) et a joué pour plusieurs western réalisés par John Ford (La Prisonnière du désert, 1956, L’Homme qui tua Liberty Valence, 1962).

  • James Stewart, lui, est également connu pour avoir travaillé dans des films de Alfred Hitchcock (Fenêtre sur cour, 1955, Sueurs froides, 1958…) et dans les westerns d’Anthony Mann.

Concernant ces choix du casting, ce sont des acteurs que je trouve particulièrement bien choisis, car John Wayne (Tom Doniphon dans L’Homme qui tua Liberty Valence) est un acteur avec une carrure imposante qui incarne bien le personnage de dur à cuir qui défie Liberty Valance, l’homme qui terrorise les habitants de l’Ouest.

John Stewart, lui, est assez mince, moins solide, ce qui s’adapte à son rôle d’avocat, et non pas à un homme d’armes.

Un film à la dimension réflexive:

Une tension spatio-temporelle :

Dans ce western, j’ai pu remarquer la notion du double-espace qui est très présente et est subtilement montrée par John Ford. Cette représentation de l’espace, manifeste dans la structure des plans ou dans les paroles des acteurs, est métaphorique. De plus, cette notion du double-espace installe une tension entre les fonctions des lieux (intimes ou collectifs) et une tension dans le temps (présent et passé).

Par exemple, lorsque Hallie donne l’accord à Ransom de raconter l’histoire de Tom Doniphon (« story » comme dit Ransom), il quitte un lieu relevant de la sphère privée, et même sacrée, où le cercueil est exposé. Il passe alors dans un lieu où les journalistes pourront écouter son histoire. Un lieu que je pourrais nommer « public », car les journalistes ont pour fonction de diffuser des « news » dans la ville.

J’aimerai vous faire part de l’analyse du plan ci-dessous qui apparaît à l’ouverture du film (à 9 minutes 08), car il a une structure très particulière. De plus, il est la représentation du lieu symbolique de l’intime que l’on peut mettre en parallèle avec le lieu où est abandonnée la Diligence.

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En effet, ce plan n’est composé d’aucun personnage ; le spectateur a une vue en contre-champ et le cercueil se trouve au centre du plan, encadré par les vantaux sur les côtés. Remarquez que le matériau du cercueil ne nous est pas inconnu : lors du générique d’ouverture, le générique s’inscrit en un plan fixe de plus de 30 secondes sur ces planches de bois :

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En outre, le cercueil est anonyme et le spectateur se demande depuis le début du film de quel enterrement s’agit-il, et pour qui ces personnes se réunissent-elles. L’absence d’ornement, la lumière, presque divine, venant du haut du plan, le sur-cadrage en gros plan sur le cercueil, tout cela joint à la matière humble du bois anoblit cet objet. Ces éléments rendent le défunt important et honorable.

Voici ci-dessous, le plan où l’histoire va être racontée par Ransom :

La structure de l’image est rompue au centre. Le poêle sépare le groupe de journalistes de Ransom, qui lui appartient à l’histoire (l’Histoire) tout comme la Diligence poussiéreuse (à mon avis, la métaphore de son souvenir) que l’on distingue derrière lui. Le rapport entre le présent et le passé est perçu par les journalistes, qui sont en effet « trop jeunes » pour connaître ce passé où la ville de Shinbone vivait sous la loi des armes et se trouvait au milieu du désert.

L’opposition entre ces deux types d’espace (intime et collectif) est redoublée par l’opposition entre la tonalité funèbre et le ton cocasse. En effet, la gravité de l’émotion émane de l’adieu à Tom Doniphon qui suscite de la nostalgie chez les personnages. Mais elle est aussi liée à l’adieu à l’Ouest dirigé par les armes, qui a laissé place à un monde fondé sur la loi. Cependant, le film est composé de certaines scènes humoristiques. Par exemple, l’homme qui a fabriqué le cercueil s’est emparé des bottes du défunt car il les trouvait belles ; le journaliste s’empresse en courant et en se rhabillant pour tenter d’attraper un scoop en exclusivité pour la venue de Ransom, le jeu des acteurs un peu surjoué donnant un effet caricatural (la voix de Ransom), etc…

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les énigmes du film :

Durant les 13 premières et dernières minutes du film, un certain nombre d’objets deviennent des signes à interpréter. J’ai auparavant parlé de la symbolique du matériau, le bois du cercueil de Tom, mais il se trouve que le cactus en fleur ou encore la boîte à chapeaux sont aussi énigmatiques que cet élément.

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Ici, J’ai bien aimé comment John Ford joue avec le spectateur car il coupe le plan au moment où Hallie va ouvrir la boite et où le spectateur va enfin savoir ce qu’elle cache.

Des notes pour finir : il faudrait parler de la … 

Théâtralité :

frontalité des acteurs, scène où Peabody regarde la caméra j’ai l’impression d’être au théâtre et que l’acteur casse le « quatrième mur » qui doit généralement séparer le public de la scène… la structure de la rue est plate, peut faire penser à un décor de théâtre …

Conception des personnages :

John Ford organise les personnages autour d’Hallie qui est le fil conducteur de l’histoire, ce que je trouve assez remarquable pour un western, car il est rare dans un western que la figure centrale soit une figure féminine. C’est cette différence qui, pour moi, est un des éléments qui rend ce film unique en son genre.

Conclusion

  1. Des images très riches en signification

  2. La tonalité funèbre et douloureuse (mais une touche d’humour burlesque)

  3. Structure du film en miroir (milieu du film autour du maniement de l’arme « jouet » → rapport de force) 50 min : « école » → « élection »

  4. Des personnages complexes

  5. un film qui nous fait réfléchir car c’est en le « relisant » que le spectateur actif programmé par John Ford peut trouver des réponses à ses questions ( ex : les objets emblématiques, structure du film, fondus enchaînés, importance du noir et blanc pour les ombres)

  6. c’est une œuvre qui s’adresse à tout type de public, elle est « populaire »