Critique d’Elisa / Goncourt des lycéens

« Droits d’auteurs »

Vivre ou écrire, tel est le dilemme de ce livre. Qu’est-ce qui est le plus important ? Que choisiriez-vous si votre vie en dépendait? Si l’on écrit sur son malheur, alors pourquoi ne pas tout abandonner pour vivre réellement en symbiose avec les personnes que l’on aime… L’amour et l’art sont les sujets principaux accueillis dans ce court roman d’amour, à la frontière du thriller, « au parfum de déjà vu ».

Cette œuvre contemporaine raconte l’histoire d’une jeune et modeste écrivaine, Elsa, admirative de la grande et célèbre autrice : Béatrice Blandy. Cette femme talentueuse et charismatique décède prématurément suite à un cancer foudroyant, laissant derrière elle un public en profonde désolation. Elsa dédie son dernier livre à sa défunte idole, et se fait étrangement remarquer par Thomas Blandy, son mari veuf. Après leur rencontre, un amour énigmatique naît, caractérisé par leur grande différence d’âge. Elsa va remplacer celle qui l’émerveillait tant, en prenant son rôle aux yeux de son amant et de son entourage. Ici, l’amour, l’obsession, le besoin de reconnaissance et les fantômes du passé s’entremêlent dans une véritable quête d’inspiration et un jeu de manipulation. Ce qui rend cette lecture si fascinante et angoissante, ce sont les nombreuses références culturelles et artistiques insérées par l’autrice, mais aussi les relations intimes et mystérieuses entre les personnages, et enfin l’originalité du récit avec un dénouement final plus que surprenant…

En effet, Carole Fives, s’est inspirée de plusieurs œuvres culturelles pour construire son roman, notamment « Vertigo », d’Alfred Hitchcock. On trouve énormément de ressemblance entre ce film et ce roman troublant. Elsa peut effectivement être comparée à Rebecca, toutes les deux hantées par l’ancienne épouse de leur amant. Cette référence cinématographique fait également écho à la profession de Thomas Blandy, qui est producteur de cinéma, mais surtout, spécialiste d’Alfred Hitchcock. La présence de cet élément sert à faire monter l’angoisse tout au long de la lecture. Ce sont d’ailleurs ces films à suspense qui ont inspiré l’autrice dans l’idée du double littéraire. Elsa jongle entre sa vie monotone de jeune mère et celle extravagante auprès de Thomas. Mais elle finit par se perdre en entrant complètement dans la peau de Béatrice. Prise de folie et de tourment, elle ne sait plus faire la différence entre la copie et l’originale. Cette double personnalité renforce l’idée du livre dans laquelle nous n’arrivons jamais à la hauteur de notre modèle.

Ce roman a un rapport extrêmement riche à la culture. Thomas fait découvrir à Elsa le monde de la divine bourgeoisie parisienne lors de gala de charité, d’expositions d’art… Puis, l’appartement des Blandy témoigne également d’un rapport important à l’art. Les murs du logis sont recouverts de toutes sortes de tableaux, avec des peintures originales de grands artistes comme Picasso… On trouve aussi d’immenses bibliothèques qui témoignent d’une grande culture littéraire. Des objets et sculptures de collection sont exposés sur les meubles en marbre du salon. Thomas possède d’ailleurs les plus grandes et précieuses œuvres cinématographiques venant du monde entier. Ce cadre luxueux inspire la réussite, le prestige, et l’aisance sociale. Telle était la vie du couple de Thomas et Béatrice. Ces appuis enrichissants et merveilleux permettent au lecteur de visualiser parfaitement cette classe sociale des plus aisées et de faire la différence avec la classe moyenne illustrée par le quotidien de la jeune Elsa.

On pourrait penser que ce livre ne fait intervenir que trois personnages, Elsa Feuillet, Béatrice et Thomas Blandy. Mais l’appartement joue un rôle primordial au sein de cette histoire. Il est au cœur des relations nébuleuses que composent ce triangle amoureux, comme nous l’a confié Carole Fives, lorsque nous l’avons rencontrée. En effet, ces trois personnages sont reliés par des sentiments forts. Pour commencer, Elsa est une grande admiratrice de l’auteure Béatrice Blandy, elle pourrait reconnaître son style entre milles. Mais cette dernière, fait la rencontre du mari veuf de Béatrice, avec qui se crée une liaison amoureuse des plus étrange. Leur différence d’âge peut paraître choquante ainsi que les circonstances dans lesquelles ils se sont rencontrés. Thomas exerce une certaine domination hiérarchique, économique et sociale sur Elsa. Cet homme si noble et élégant, apparaît comme un personnage fantôme, au ressort philosophique. On ne sait pas si ses sentiments sont véritablement réciproques à l’égard d’Elsa. Ayant nous-même, lecteurs, accès aux pensées d’Elsa, on ne distingue pas si elle est amoureuse de Thomas, ou bien amoureuse de la vie de Béatrice. On fait évidemment la comparaison entre ces deux femmes. Elles partagent leur amour envers Thomas, l’une est son épouse, l’autre sa maîtresse. Béatrice Blandy vit dans le luxe et le prestige d’une vie reconnue pour son grand talent de romancière. Célèbre et aimée du grand public, elle inspire la gloire et la réussite. C’est une femme puissante et intimidante alors qu’Elsa apparaît comme un être fragile et peu sûr d’elle. Issue de la classe moyenne, Elsa n’est qu’une modeste écrivaine en manque d’inspiration et au succès plutôt mitigé. On a donc un choc des classes sociales lorsque Elsa découvre la vie auprès de Thomas. Ils vivent leur amour secrètement, cachés et loin des regards, comme s’ils n’assumaient pas leur couple. Cet appartement figure donc comme un personnage à part entière. Il a été complètement décoré par Béatrice Blandy, elle-même. Elle est à l’origine de ce décor et en parallèle à l’origine de ce récit. Même en étant morte et disparue, elle continue à tirer les ficelles.

Enfin, la dernière et ultime raison de lire « Quelque chose à te dire » de Carole Fives réside dans son dénouement. Il est l’issue d’un récit original, d’une histoire d’amour qui est loin d’être classique. On comprend que le titre de ce roman est réservé à ceux qui ont lu intégralement le livre. Un effet de surprise mêlé au mystère de cette révélation finale envahit le lecteur. Il remet en question toute sa lecture depuis le commencement. On retrouve l’idée de la manipulation, où le manipulateur est lui-même manipulé depuis le début de la pire des manières possibles et inimaginables. A mi-chemin entre le rêve et la réalité, l’autrice offre un angle de vu nouveau, qui nous apporte de nombreuses réponses, mais également plusieurs questionnements. Cette fin ouverte, pouvant être qualifiée d’inachevée, joue avec l’imagination du lecteur, qui peut lui-même anticiper une potentielle suite. Que deviennent les personnages ? Thomas a-t-il fait totalement semblant ? Ce couple désassorti va-t-il se retrouver ? Mais on aimerait surtout en savoir davantage sur l’avenir d’écrivaine d’Elsa. Va-t-elle devenir une grande romancière comme Béatrice, ou va t-elle se perdre dans son mensonge ? Le fait de mettre en avant des figures féminines et leur talent, leur charisme, leur pouvoir, est un pas en avant dans la lutte pour l’égalité des sexes, contre la discrimination des travaux des femmes…

« Comme tout cela était insignifiant à côté du bonheur de partager la journée avec la personne qu’on aime… »

Carole Fives tisse une toile plaisante à la dimension artistique plus qu’abondante, où elle met en évidence la fascination qu’une personne peut exercer sur une autre. Le charme de cette œuvre réside dans sa subtilité inquiétante. « Il n’y a pas de copiage en art, seulement des hommages », c’est la conclusion que nous tirons de cet ouvrage. Et pour revenir sur l’introduction de cette critique, Béatrice comme Elsa comprennent à présent que la vie est supérieure à l’écriture. « Comme tout cela était insignifiant à côté du bonheur de partager la journée avec la personne qu’on aime… »