Critique de Tom / Goncourt des lycéens

« La Vie Clandestine » : Une histoire faite d’histoires ou l’irréparable silencieux

Avec son roman La vie clandestine, Monica Sabolo emmène le lecteur dans le flot du silence de l’histoire du groupe Action Directe qui fait, mystérieusement et pourtant si pertinemment, écho à sa propre vie. Le long du roman se tissent les récits des individus qui ont fait ce qu’était Action Directe (AD) ; ces événements viennent éclairer l’histoire des dernières décennies autant que celle de l’autrice.

Un des éléments les plus agréables dans ce récit est sa construction à la fois parallèle et fluviale par laquelle Monica Sabolo emmène son lecteur des bords du Léman, jusqu’à la noirceur des rues parisiennes et de leurs pavés, tantôt prenant leur envol pour finir leur course dans le pare-brise d’un fourgon bleu et blanc, puis épongeant le sang d’un homme en costume assassiné devant chez lui, le tout mû par la violence des désillusions d’une fin de siècle. L’autrice réussit à mêler l’histoire de son enfance, intime, sombre et parsemée de doute avec l’histoire du groupe Action Directe et plus particulièrement de deux femmes, Nathalie Ménigon et Joëlle Aubron, qui, bien que très jeunes, ont tué de sang-froid Georges Besse, patron du groupe Renault devant son domicile, s’efforçant peut-être de ne pas voir l’ami, le mari et le père qu’elles abandonnaient à son sort sur ce coin de trottoir, un soir de novembre 1986.

Ces deux histoires qui s’enchaînent le long des pages et des chapitres partagent l’irréparable, le silence et la quête du pardon. Monica Sabolo n’a pas dix ans quand son père, Yves S, a des « agissements  incestueux » (ce sont ses termes) à son égard. Toute une vie s’ensuit sans que jamais son père ne demande pardon ou reconnaisse seulement les souffrances causées. Dans le cas d’Action Directe, jamais un.e des militant.e.s n’a réellement reconnu la douleur des victimes des actions violentes du groupe. Ce qui fait la beauté de la conclusion de cette intrigue est son aspect poignant, lorsque Nathalie Ménigon, condamnée pour l’assassinat de G Besse, recroquevillée par l’âge et le froid libère enfin son regret lorsque elle évoque le soir de la mort du PDG. Elle parle tour à tour des enfants de celui-ci et d’elle et son frère à la mort de leur mère. Elle humanise à nouveau l’homme, jusqu’alors désigné par sa place dans le rapport de production. A travers cette voix, l’autrice semble entendre le regret et la peine dont son père n’a jamais fait part, le roman se ferme devant la tombe de celui-ci sur laquelle l’auteure accorde son pardon qui s’envole avec les oiseaux du cimetière de Colombes.

Ensuite, ce roman est rendu intéressant par les thèmes historiques qu’il aborde et la manière dont celui-ci raconte notre histoire collective par le récit de la vie des individus qui ont façonné le groupe Action Directe et tout ce qui l’entoure : les vies, les souffrances, l’exaltation et le sang qui pavent le chemin du groupuscule révolutionnaire, chemin qui serpente des boulevards parisiens jusqu aux prisons du Comminges. L’autrice sait aborder ces thèmes avec une finesse rare, loin du manichéisme, elle montre un groupe qui naît d’une douleur, d’une colère qui vit grâce à la force de la solidarité et la détermination de ses membres, puis s’évanouit dans la violence et la mort, transportant la souffrance qui l’a fait naître. Du groupe, subsistent le solidarité et l’amitié fraternelle que partagent à jamais les membres ainsi que les plaies béantes dans l’âme de ceux qui ont vu un proche emporté par les balles d’un de ceux qui se proclamaient « combattants révolutionnaires ».

Enfin cette histoire est cristallisée par celle du personnage d’Hellyette, vieille femme de quatre-vingt-dix ans tenant une librairie à l’enseigne orange et bleue faite à la main, « Le jargon Libre » à l’ombre du lierre et des immeubles en pierre blanche de la petite rue Henri Chevreau dans le vingtième arrondissement de Paris à deux pas du parc de Belleville et de la petite ceinture. La vieille femme a en elle la douleur et la colère depuis qu’un jour de 1941 son père, juif, est arrêté et emmené par des soldats allemands. Elle ne le reverra jamais. C’est aussi la révolution depuis le jour où elle a lu Bakounine ; c’est l’amour et l’entraide depuis les années 50, date de ses premiers engagements dans des groupes militants. Hellyette porte aussi en elle la compassion, elle désapprouve les assassinats.

C’est grâce à elle que Monica Sabolo réussit à rentrer en contact avec les membres d’Action Directe, qu’elle peut un jour, dans une ferme de la région Toulousaine rencontrer Nathalie Ménigon. C’est, en somme, grâce à cette vieille et atypique libraire que l’autrice peut trouver le regret et le pardon dont elle était en quête depuis si longtemps.

Enfin, Monica Sabolo mène son récit d’une plume fine et juste dans un entrecroisement de récits de vies qui viennent superbement illuminer la mémoire presque effacée de son enfance et de sa jeunesse. Ces récits, au travers d’individualités, permettent également de cerner le collectif qui faisait l’existence d’ Action directe et d’essayer de formuler l’indicible expression du regret.