Rosas danst rosas

Les élèves de l’option théâtre ont assisté à la représentation de Rosas danst rosas au grand théâtre d’Albi le 12 octobre 2017.

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Rosas danst Rosas

Thibault

La pièce Rosas danst Rosas a été créée en 1984 par la chorégraphe Anne Teresa De Keermaeker. Elle est interprétée par quatre danseuses de la compagnie « Rosas ». L’effet de réflexion des  »Rosas » dans le titre souligne la symétrie et la géométrie, deux notions très importantes dans les pièces de De Keersmaeker ; mais aussi une sorte continuité, de boucle qui se répète.

En effet, la pièce est structurée en cinq parties que l’on pourrait assimiler à des moments de la journée. Leur intensité est crescendo jusqu’à la dernière partie qui est une courte coda très simple en raison de la réelle fatigue des danseuses. Elles sont toutes habillées de la même façon, très simplement, avec une robe mi-courte grise. Cette unité accentue le côté répétitif des gestes et suggère un travail de dactylo ou de travail en usine, mais en tout cas une activité à la chaîne, ce qui est très intéressant visuellement.

Cela peut signifier la banalité et la routine un peu vaine du travail, puisque tous les jours, elles se réveillent (1ère partie), prennent les transports en commun (suggérés par les chaises dans la 2ème partie), puis s’engagent dans un travail de plus en plus effréné dans le rythme ( 3ème et 4ème partie). Enfin vient l’épuisement total et le repos succinct en attendant le lendemain (5ème partie). D’ailleurs, cette idée peut même s’appliquer à la vie des danseuses : après avoir dansé leur spectacle, elles vont le réinterpréter dans la prochaine ville… Elles dansent en boucle une boucle : cela peut-être une autre interprétation du titre de ce spectacle !

Malgré l’uniformité des costumes et l’impersonnalité des taches définies au début, les danseuses finissent par casser le moule imposé : elles expriment leurs féminité avec la robe échancrée et les gestes allant du sein au cheveux ; mais également elles se démarquent les unes des autres, partent en décalé, en canon… Elles dévoilent leurs personnalité malgré leurs tenues identiques et leur chorégraphie semblable.

J’ai beaucoup aimé cette pièce que j’ai trouvé très intense dans le niveau exigé en danse et intéressante par rapport aux interprétations qu’elle suscite sur que l’on peut la société notamment. Mais j’ajouterais un bémol : même si la musique minimaliste et répétitive est symbolique et s’accorde bien avec le caractère de la pièce, je l’ai trouvée dérangeante à la longue…

Quand Rosas danse la vie

Luna

Une salle plongée dans le noir ; une musique oppressante et répétitive ; quatre danseuses qui se placent l’une après l’autre sur scène et soudain, quand elle devient insupportable pour le spectateur, une musique qui s’arrête brutalement. Et c’est dans le silence et la pénombre que les quatre jeunes femmes commencent à danser, le silence étant rapidement comblé par leurs respirations et leurs gestes. C’est comme ça, quelque part entre la douceur et la brutalité, dans un espace à la fois austère et sensuel que le spectacle commence. Le décor est simple : une scène pratiquement vide, avec une table et des chaises en fond de scène, à jardin, à coté desquelles se trouvent quatre paires de chaussures. Sur le mur du fond est accroché, tel un grand cadre, une bâche noire, striée. A cour et à jardin, se trouvent deux miroirs. Mais un élément très important vient encadrer cette mise en scène : les coulisses ont disparu et la structure métallique au dessus de la scène est visible, ce qui est totalement inhabituel dans les spectacles. On peut y voir une volonté de montrer les coulisses du spectacle (l’installation des chaises et l’enfilage des chaussures se font d’ailleurs sur scène) et ainsi ne rien cacher au spectateur.

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Rosas Danst Rosas (présenté pour la première fois sur scène en 1983) est un spectacle important dans la carrière de Anne Teresa de Keersmaker, grande danseuse et chorégraphe belge de renommée mondiale, qui est notamment la chorégraphe de False, ainsi que dans l’histoire de sa compagnie, « Rosas », créée la même année. Le spectacle représenterait la compagnie qui se danse elle-même, traduction plutôt cohérente, étant donné que ce spectacle est organisé en quatre parties, chacune représentant un moment de la journée. Les danseuses tentent donc, à travers une chorégraphie, de représenter, de manière plus ou moins concrète, les différentes étapes d’une journée habituelle. La première partie, sans musique, est assez lente et les danseuses dansent principalement au sol. Elle correspondrait, d’après les notes de De Keersmaker, à la nuit, au sommeil. Dans les parties suivantes (le matin, l’après midi et le soir), on retrouve l’idée de répétition de gestes habituels : s’asseoir, regarder derrière soi, mettre ses chaussures, remonter son tee-shirt, courir, s’allonger …

Un élément vient s’ajouter aux « habitudes », à la routine, c’est l’idée d’universalité. En effet les jeunes femmes portent toutes le même costume, (le même « uniforme »): un tee-shirt à manches longues bleu/gris en coton, très simple, et une jupe grise fluide, elle aussi simple, sur un legging noir ; les chaussures sont des mocassins en cuir. Sans coiffure ni maquillage extravagant, habillées telles des ouvrières des années 50, les danseuses semblent ici représenter « Madame tout le monde » (et plus particulièrement les « petites gens »). La musique et les gestes répétitifs et mécaniques accentuent cette impression d’ouvrier en train de travailler à la chaîne, tout comme l’organisation de la chorégraphie et des déplacements très mathématiques et précis, suivant des tracés géométriques bien déterminés. La musique est ici, comme souvent dans les spectacles de De Keersmaker, un élément clé, voire la base de toute la chorégraphie et du propos du spectacle. Les lumières, bien qu’ayant un rôle bien déterminé dans les différentes tableaux (certaines fois elles éclairent tout le plateau, d’autres fois elles éclairent seulement les quatre danseuses…), semblent moins essentielles quant au propos du spectacle.

Malgré ce coté « mécanique », « robotisé » de la danse, on reçoit très fortement, lors du spectacle, l’énergie, la force et la sensibilité des quatre danseuses : Soa Ratsifandrihana, Laura Maria Poletti, Yuika Hashimoto et Laura Bachman ; ainsi que leur plaisir de danser. Cette humanité est surtout frappante dans la première partie, avec le bruit des respirations et la tendresse des mouvements. Mais elle l’est aussi vers la fin du spectacle, quand les danseuses, après 1h45 de spectacle sont tellement épuisées qu’elles ne peuvent plus le cacher. En effet, la longueur et l’intensité physique de la mise en scène (les danseuses restent tout le temps sur scène et ne s’arrêtent presque jamais de danser) poussent les jeunes femmes vraiment à bout. Et cet état est intéressant parce qu’il permet au spectateur non seulement de ressentir de la compassion pour les quatre artistes mais aussi de sentir qu’elles ne sont pas des robots, qu’elles ont chacune des forces, des faiblesses et des limites qui les rendent humaines et uniques. Même les mouvements répétitifs et les costumes identiques ne résistent pas à la singularité de chacune. D’ailleurs, le spectateur va, lui aussi expérimenter ce sentiment d’aller « jusqu’au bout » à travers la musique qui par moment, par sa répétition et son volume, devient vraiment désagréable et est à la limite du supportable. L’épuisement est donc vécu sur scène mais aussi dans la salle.

Finalement, dans ce magnifique et talentueux spectacle où ce qui retient le plus notre attention c’est la qualité et le niveau de danse, Anne Teresa De Keersmaker réussit à allier les contraires pour former un parfait équilibre. La sensibilité et la féminité des danseuses se heurtent par exemple aux décors froids et austères et à la musique métallique et désagréable de Thierry De Mey et Peter Vermeersch ; la chorégraphie et la musique ne font qu’alterner entre rythme rapide et brutal et rythme lent et délicat… Ces ruptures et la recherche de l’équilibre ne représenteraient-elles pas elles aussi notre quotidien à tous ?