Liberty Valance par Alexis

Salut à tous les cinéphiles et bienvenue sur cette page où je vous invite à rester le temps que vous voudrez, de préférence en vous asseyant confortablement pour lire mon propos. Aujourd’hui nous parlerons du western et pas du premier venu, nous parlons de L’homme qui tua Liberty Valance (dont le titre original est The man who shot Liberty Valance) une sorte d’ode à l’Ouest et au western. Entrons désormais non pas dans un des manteaux poussiéreux de Leone mais chaussons plutôt les éperons et rejoignons dans une chevauchée fantastique le monde de John Ford. Là-bas nous attend d’emblée une musique rythmée et triomphale qui marque quiconque l’écoute, là-bas nous attendent des personnages que le noir et blanc rend hauts en couleurs, là-bas nous attendent l’Ouest américain des pionniers et sa loi impitoyable, là-bas nous attendent les étendues arides de Shinbone et un des plus mémorables hommage au western américain. Pour étayer mes dires, je vous parlerai de l’ambiance musicale, des fondus enchaînés et de leur utilité, des doubles espaces, de la symbolique des noms et de certains objets.

Laissez-moi d’abord vous parler de ce qui fait la force de ce monument, je parle bien sûr de la musique et je dois vous dire qu’il y en a peu qui de mémoire m’aient autant marqué que celles de ce film. Il est évident qu’il est futile d’en parler sans chercher à la décrire. C’est pourquoi, je vous conseille vivement de voir le film et de vous repasser la bande son quelquefois si vous en avez l’occasion. Nous commençons donc avec le générique et ses 14 panneaux sur lesquels sont inscrits les noms de la direction du film. La cadence de l’orchestre fait alors penser aux cavalcades endiablées qui sont souvent chères à ce genre, ou à une marche militaire, tant le tempo est régulier. A noter que cette musique ne se retrouvera jamais entièrement au cours du film, comme si Ford commençait déjà à tourner la page de son ère western ( son dernier sera « Les Cheyennes », 2 ans plus tard en 1964). Un autre thème musical majeur de cette production est celui dit d’Hallie, le personnage féminin principal, qui liera entre eux les personnages de Ransom l’avocat (qui deviendra sénateur) et celui de Tom « l’homme de l’Ouest ».

La magie de ce thème repose sur le fait qu’il laisse supposer dès la première écoute une présence douce, timide et féminine, qui rappelle le personnage d’Hallie : la jeune femme de l’Ouest, à la fois attachée à sa terre natale et inévitablement attirée par l’inconnu, promise à un pionnier sans le savoir et donnée par le destin à un jeune homme de passage. La force de cette mélodie tient au fait qu’elle met en relation les deux personnages masculins (Ransom et Tom), farouchement opposés dans leurs valeurs, mais réunis par la justice, la passion (Tom renonce à Hallie pour la laisser partir à Stoddard qui l’a séduite) et l’adversité (Ransom veut arrêter Liberty Valance selon la loi de l’Est et Doniphon l’exécute par la loi de l’ouest pour sauver son rival). Et nous voici en présence d’un triangle amoureux : Tom aime Hallie, qui aime Ransom et qui en est aimée en retour. La musique édifiant ainsi les bases de cette figure .

Vous l’aurez compris, qui que vous soyez et quelle que soit votre expérience cinématographique, un bon film ne repose jamais uniquement sur une simple originalité qui le démarque des autres. Celui-ci ne déroge pas à la règle, un autre fait marquant est la place des fondus enchaînés, véritables passerelles temporelles entre les différentes séquences spatiales du film. Ils sont au nombre de douze et ont leur utilité au sein du film. Intéressons-nous aux plus importants. Les deux fondus enchaînés principaux se trouvent respectivement durant les vingt premières et les cinq dernières minutes encadrant le flash-back, le premier nous plongeant dans le passé et le second nous en faisant ressortir (dans les deux cas en des lieux différents d’un plan à l’autre). Outre le changement temporel, ils sont aussi le seul moyen logique d’accéder à des faits antérieurs à l’enterrement de Doniphon par l’intermédiaire de la mémoire de Stoddard, Tom étant dans un cercueil entre six planches et Hallie n’ayant pas vécu tous les événements de la trame principale. Ce point de vue est aussi le plus intéressant, par le regard neuf que Ransom pose sur les autres personnages quand il les rencontre. Ainsi l’ex-marshall grisonnant et honorable qu’il rencontre à la gare laisse place dans son souvenir à un couard et l’illustre fondateur du « Shinbone Star » est décrit, au même titre que le médecin de la ville, comme un alcoolique. Les autres flash back quant à eux servent principalement à faire avancer l’action tout en passant sur des détails a priori inutiles, ils servent donc par exemple à passer du point de vue d’Hallie à celui de Ransom dans les premières scènes ou à passer de l’irruption de Valance dans le restaurant à la salle de classe voisine de l’imprimerie, toujours dans un processus d’ellipse narrative. A noter également que c’est dans un pseudo fondu enchaîné que se fait l’entrée dans le second flash-back ( à l’intérieur du premier) et sa sortie, la fumée que dégage Tom le faisant sortir de l’ombre et son dos occultant la caméra pour nous faire revenir au premier.

Parmi les particularités de ce film, les espaces dits doubles ont aussi leur place dans cet article. Le premier à paraître est celui qui relie les salles du cercueil et de la diligence dont la première est occupée par le croque mort et Pompey ( qui veille sur Tom), puis Hallie et Ransom dans un second temps ; tandis que se trouvent dans l’autre, le senateur et les journalistes. L’intérêt repose alors sur le parallèle, car c’est dans la première scène du flashback, celle de la diligence, que Tom fait son entrée, associant ainsi « L’homme de l’Ouest » à l’Overland (nom de la diligence) dans l’esprit de Ransom. Parmi les autres espaces doubles qui se succèdent, on trouve aussi l’imprimerie/classe qui laisse planer en français, l’ambiguïté du terme « apprendre » qui a à la fois pour sens d’acquérir une connaissance, de faire acquérir une connaissance à quelqu’un et d’être informé d’une nouvelle, les trois se joignant ici dans la continuité de l’intrigue : ainsi Ransom initie les illettrés de la ville à la lecture, qui l’assimilent et qui dans un troisième temps seront capables de lire le journal, puis de voter. Ford nous laisse alors entrevoir un paradoxe : comment Peabody, l’homme de lettres, n’a t-il pas appris aux autres à lire alors que sans ça, ils n’ont aucun intérêt à lire son journal et ne peuvent pas voter ? Ces fameux espaces doubles permettent également d’instaurer un contraste entre les différents plans, comme entre celui de l’assemblée territoriale où Tom et Ransom sortent de la foule publique et celui du petit cabinet à l’allure plus privée où ils se retirent. Cette idée du rapport public / privé est alors intéressante à creuser, car aucun ( de l’avocat où de l’homme de l’Ouest) ne se retrouve vraiment dans la foule politique, l’un à cause de ses remords, l’autre par son inaptitude aux discours. A noter qu’ils apparaissent de la même façon en parallèle, dans l’espace de la rue et de sa ruelle adjacente, lors du duel avec Liberty Valance. Ainsi c’est le mélange de ces deux personnages qui crée « L’homme qui a tué Liberty Valance », l’un prenant cette identité et l’autre disparaissant plus humblement, l’un devenant un personnage public et l’autre décidant de rester un inconnu pour Shinbone et l’Amérique toute entière.

La prochaine réflexion que j’amorce est celle de la symbolique des noms, de quelques objets et de l’image du cow-boy au sein de ce film. Commençons donc par la question du premier personnage apparaissant à l’écran, je veux bien-entendu parler de Link Appleyard, en français le lien (link) et le verger aux pommes (appleyard). Ce nom manifeste les liens qu’il crée entre les personnages, comme dans l’apparition d’Hallie et de Ransom où il les nomme après qu’Hallie l’a fait pour lui ; en outre il met également en relation les personnages, menant les deux premiers à d’autres comme le fossoyeur et surtout Pompey durant la première partie. L’allusion au jardin renforce elle son côté burlesque d’antan, en appuyant sur le nombre démesuré d’enfants qu’il possède. L’image du « noir » et son importance sont aussi abordées à travers Pompey, dont le nom suffit indirectement à créer un triumvirat constitué avec Ransom et Tom et ayant pour but d’arrêter Liberty Valance. Outre son nom, sa couleur fait alors de lui un assistant, dans l’idée antique de l’affranchi restant en contact avec son maître, une fois libéré. Les noms ayant tous une connotation forte, je me plais à penser que nous pourrions traduire celui de Dutton Peabody par « corps de pois », allusion, à coup sûr, pour le nom et l’éloquence à un certain « pois chiche » latin, Marcus Tullius dit Ciceron.

En dehors des noms, me viennent aussi les portraits affichés dans diverses salles comme celui de Lincoln dans la salle de classe, qui fait écho aux lois d’égalité humaine et aux fondements de la constitution américaine, fondement de l’éducation que Ransom propose aux habitants de Shinbone, ce qui laisse présager que d’autres dans la ville se fient aux lois constitutionnelles. Mais de toutes les images qui se trouvent dans ce western, la plus importante est celle du cow-boy qui est cette fois remise en question par le biais de Tom : il trahit ses principes et son code d’honneur en tuant Valance par derrière, pour préserver le bonheur d’Hallie, l’homme du colt qui l’abandonne pourtant dans son cercueil, renonçant pour ainsi dire à passer l’arme à gauche.

Enfin, terminons sur une phrase  «  When the legend becomes fact, print the legend » qui résume alors bien le projet de l’œuvre. Même si nous ne pouvons changer les faits, il est encore une fois intéressant de nous demander comment cela se serait passé, si Doniphon avait revendiqué la mort de Valance. Je pense que l’incidence aurait été moindre. La loi de l’Ouest étant impitoyable, sans la présence de Stoddard, la mort de Liberty n’aurait été qu’une vengeance. En outre, Ransom n’aurait jamais été choisi pour aller à Washington. Je pense donc que Ford dans cette phrase met le doigt sur la fatalité qui plane dans son intrigue et sur le fait que Tom, malgré son statut de cowboy émérite, n’aurait pu incarner la Justice du droit, car ce n’est pas cette justice qui l’anime. Pour conclure et pour éviter les regrets, songeons que seul l’homme de loi peut porter le poids de la Loi sur son dos, bien au contraire du farouche « homme de l’Ouest ».

Malépart Alexis

1ère L2