Liberty Valance par Miguel

L’Homme qui tua Liberty Valance

par Miguel Cvetanovic 1ère L2

Moi et le western, c’est une histoire récente. Avant de m’aventurer dans les classiques du genre (chose faite très récemment et qui d’ailleurs est loin de se terminer), je n’avais pour seules références, en tant que westerns, que Retour vers le futur III (oui, ce film transpire le western dans son esthétique et dans ses références) de Robert Zemeckis (comme s’il y avait besoin de le préciser), et Django Unchained de Quentin Tarantino. Autant vous dire que j’étais relativement un novice quant au monde des déserts arides, musiques solennelles et autres cowboys. Quoi qu’il en soit, aujourd’hui la « Trilogie du Dollar » et Mon nom est personne font maintenant partie intégrante de ma culture cinématographique (et ce, pour mon plus grand bonheur). Bref, je commence à apprécier et à connaitre ce genre, j’en connais les gimmicks, les codes. Puis, lors d’une sortie scolaire (que voulez-vous parfois le système éducatif peut apporter de bonnes choses) j’ai eu l’opportunité de voir, qui plus est, sur grand écran et en version originale, ce film considéré comme culte, L’Homme qui tua Liberty Valance du réalisateur John Ford. (Il m’aura donc fallu attendre avant que moi petit provincial – qui n’ai jamais droit aux versions originales, sûrement parce que les distributeurs pensent que les habitants du Sud de la France ne savent pas lire des sous-titres – puisse voir pour la première fois un film en version originale lors d’une sortie scolaire !)

Avant d’aborder le long-métrage plus en détails, je ne vous cache pas, cher lecteur, que l’envie de faire cette critique ne m’est pas spontanément venue (bien qu’un jour ou l’autre je l’aurais écrite). En effet, c’est sous la demande d’un professeur que je l’écris aujourd’hui (vous avouerez qu’il est peu commun qu’un professeur vous demande de faire un boulot que vous faites quasiment tous les jours).

 

Alors si vous le voulez bien, installez vous confortablement, au coin du feu si vous en avez envie, et apprêtez-vous à lire mon sentiment ainsi que mon analyse de ce film, parce que, mine de rien, j’ai beaucoup à dire. Alors commençons ! Demandons-nous d’abord si le film de John Ford est bien un western ou bien s’il s’agit d’un hommage à ce genre. Question plutôt stupide, me rétorquerez-vous. Eh bien détrompez-vous ! Certes, tous les éléments du western sont présents, les grands angles, la musique solennelle voire même cérémonielle (du moins au générique), les décors désertiques, les duels, les braquages de diligences et bien évidemment John Wayne, véritable icône du genre. Seulement, cela serait s’arrêter à la surface même de ce film, et cela serait oublier son but ainsi que toutes les pistes de réflexion qu’il apporte. A première vue, L’Homme qui tua Liberty Valance reste académique (plans fixes et longs), dans sa mise en scène, simple dans son scénario et dans le traitement de ses personnages, mais en réalité il est bien plus intelligent qu’il n’y paraît.

Déjà, il possède une portée politique indéniable, et c’est le personnage de Ranson Stoddard, interprété par James Stewart, qui la représente le mieux : il est le représentant de la loi et du monde de l’Est (l’avenir politique et économique de l’Ouest). Ses principes vont être mis à mal dès son arrivée dans le monde impitoyable où règne la loi de l’Ouest (le passé, voire même la représentation d’un mode de vie archaïque). Notez l’opposition entre le mode de l’Ouest et celui de l’Est.

Ensuite, il y a cette propension à, dirons-nous, « casser » les codes du western avec une grande subtilité : le personnage d’Hallie, interprété par Vera Miles, incarne la liaison entre l’avenir (Ranson) et le passé (Tom Doniphon), le personnage joué par John Wayne, qui lui représente le western « à l’ancienne ». Ce dernier est donc mis en retrait, et le fait qu’il « tourne la page » de ses objectifs, de ses projets d’homme de l’Ouest en dit long sur les intentions de Ford. Celui-ci veut donc bien rendre hommage, en allant de l’avant et en clôturant avec respect l’âge du grand Ouest (d’où la transformation de la ville dépeinte tout le long du film, passant d’un lieu « ensauvagé » à une véritable petite ville). D’ailleurs il faut remarquer que le film est sorti en 1962, soit en fin de vie du genre. Là est l’une des plus grandes forces du film : John Ford représente l’histoire de l’Ouest américain (et sa fin donc) par le prisme de l’évolution psychologique de ses personnages principaux.

 

Mais, mise à part la qualité d’hommage au genre que nos amis italiens ont ensuite parfaitement dépoussiéré, il est également utile de vous informer que le grand John Ford a aussi pensé son film intelligemment dans sa mise en scène. Vous le savez certainement, mais quand on est metteur en scène, on ne choisit pas de placer sa caméra au hasard. Ce que l’on montre peut, suivant la façon dont la caméra est positionnée, porter un message, une vision, ou laisser des indices sur l’intrigue, sur les personnages ou sur le développement de métaphores. Et sur ce point, le cinéaste n’y va pas de « main morte ». Chaque plan est calculé méticuleusement pour retranscrire une émotion, un fait, une métaphore, ou une opposition (et croyez-moi, une semaine ou deux d’analyse en cours ne trompent pas). Par exemple, il y a quantité de scènes où Ford joue sur un double espace : le journal et l’école ; la cuisine et la salle du restaurant ; l’ancienne partie de l’humble demeure de Tom et la partie nouvelle, en construction qu’il détruit en même temps que ses illusions. Ainsi, le réalisateur crée une opposition ou un prolongement entre deux espaces, ce qui produit un effet de théâtralité. Ainsi pour le cas de la maison de Tom, l’ancienne partie le représente à lui, représente donc son passé, sa vie de cowboy ; et la nouvelle partie représente Hallie et son avenir (impossible) avec elle.

 

Et vous savez quoi ? John Ford ne s’arrête pas là ! Pour lui, jouer sur la théâtralité et présenter avec respect l’effacement d’un mythe cinématographique dans un contexte politique, ce n’est pas assez. Il ajoute une métaphore de plus au personnage de Tom par l’intermédiaire d’un cactus, plante solitaire et piquante, un peu comme l’est le personnage. De même, les premiers plans et le dernier, bien qu’anecdotiques, forment une jolie métaphore de l’histoire du cinéma : en effet le train représentant les premiers pas du cinéma (avec les frères Lumière) et de l’industrialisation (de l’Ouest pour le coup), il est facile de comparer ce train, arrivant d’un monde inconnu et partant vers l’avenir sans pour autant rebrousser totalement chemin, à l’histoire des Etats-Unis qui, bien qu’évoluant, ont gardé une forte empreinte de l’Ouest. Et Ford va encore plus loin dans la construction rythmique même de son film. Quand on en vient à remarquer que des éléments scénaristiques se font écho (comme l’entrée et la « sortie » de Liberty Valance) à des moments quasi parallèles (là pour le coup à 40 et à 80 minutes), on se rend vite compte que John Ford avait un souci du détail à la limite du perfectionnisme si je puis dire.

 

On peut en parler des heures, voire même des jours de ce film (je vous rappelle les deux semaines d’analyse en cours). Je pourrais encore parler du choix du Noir & Blanc qui n’est pas anodin et qui permet de mieux jouer sur les ombres et sur ce qu’elles représentent métaphoriquement ; ou encore de l’alternance de deux registres, noble et burlesque, ou même encore du personnage de Peabody, interprété par Edmond O’Brien, personnage constamment dans l’autodérision, mais dans lequel s’incarnent de forts enjeux politiques, notamment le rôle de la presse ; ou bien du rôle de la musique appuyant les différents tons de l’œuvre par une composition certes discrète et utilisée avec parcimonie et intelligence (on retient les thèmes caractérisant les protagonistes, notamment celui d’Hallie) ; ou encore des fondus enchainés, ou du flash-back dans le flash-back (et on était bien avant Inception et Existenz – Waouh ! J’ai réussi à placer Zemeckis, Tarantino, Nolan et Cronenberg dans une critique de Western, je pensais ne jamais y arriver !). Bref, on pourrait dire énormément de choses donc. Du simple détail jusqu’à la vision d’un temps révolu, ce film regorge d’éléments tous plus intéressants et intrigants les uns que les autres. Il est clair que je ne peux que vous conseiller une telle œuvre, et même si vous n’en percevez pas toutes les subtilités, je vous assure qu’elle demeure passionnante à suivre.

 

Au final, L’Homme qui tua Liberty Valance est une de ces œuvres qui en disent long sur leur époque, une de ces œuvres intelligentes et donnant une nouvelle vision du western, plus moderne, (et qui d’ailleurs est plus proche de l’hommage). C’est grâce à sa mise en scène exprimant parfaitement les enjeux métaphoriques et psychologiques et à ses acteurs d’exception, une œuvre marquante et passionnante. Alors, s’il est clair que je préfère les westerns de Sergio Leone qui ont une ambiance presque sacrale et viscérale et qui usent de compositions exceptionnelles, je ne peux cependant que vous conseiller celui-ci qui dans son apparente simplicité demeure sacrément intelligent et qui à mon avis reste culte et intemporel.