A la manière de Fredric Brown – Essai de pastiches littéraires
Pour présenter Fredric Brown :
- Extrait de l’article de l’Encyclopédie Universalis sur la Science Fiction : « Les années 1950 sont celles du grand épanouissement : la revue Galaxy redécouvre l’ironie de Swift et de Voltaire avec Robert Sheckley, Fredric Brown, Kurt Vonnegut, Pohl et Kornbluth, William Tenn, Alfred Bester ; la science-fiction devient capable d’exprimer aussi l’horreur froide (Richard Matheson, Damon Knight), la poésie (Philip José Farmer, Cordwainer Smith), la mélancolie (Robert Silverberg) et la psychose (Philip K. Dick, Daniel Galouye). »
- Extrait de Wikipedia : « Fredric Brown est un écrivain américain de science-fiction célèbre pour ses nouvelles au parfum humoristique. Il a également publié des romans policiers ou de science-fiction, souvent dans un registre burlesque, comme dans son roman Martiens, Go Home !. »
La Grande Route
Ronan
Un bruit sourd le réveilla. Ce bruit ressemblait à un bruit de machines, de mécanismes. Il faisait très sombre. Soudain, quelque chose vint l’attraper. Cette chose s’approcha d’un carré d’où sortait de la lumière. Il fut déposé tout au bout d’une très longue route, au milieu de personnes qui lui ressemblaient toutes.
La route était bordée par deux fossés, et le sol était très lisse. Les personnes autour de lui formaient un triangle. Il remarqua qu’elles lui étaient chacune identiques. Tous restaient immobiles. Soudain, de la musique se lança à un volume assourdissant.
Une silhouette géante apparut alors à l’autre bout de la route. Elle s’approcha, puis se baissa, laissant tomber une gigantesque boule noire qui parcourut la grande route à une incroyable vitesse. Elle les percuta tous, les faisant tomber dans un grand trou se trouvant derrière eux. En tombant, il entendit juste une voix crier : « Ouais ! Encore un strike ! ».
Clé : Le protagoniste de ce texte est en réalité une quille dans un jeu de Bowling. Nous suivons son trajet à partir de la réserve jusqu’à son arrivée sur la piste de jeu, au milieu des autres quilles. Un joueur va alors jeter une boule de bowling et renverser toutes les quilles, qui retomberont dans la réserve.
1128 – EF
Léon
La lune éclairait de sa lumière jaunâtre et vacillante les traces qu’il laissait dans la neige. Tout était calme, vaste, aucune lumière, excepté la lune, ne troublait le paysage. Quelques bosquets marquaient la ligne d’horizon.
Il marchait sans se soucier où aller. Ses pas le portaient, d’une manière étrange et incontrôlée. Il passait puis revenait, semblait voler quelques instants pour repartir quelques mètres plus loin. Se déplaçant parfois par à-coups, parfois sur de grandes lignes courbes. Enfoncé dans la vaste étendue blanchie jusqu’aux chevilles, il sillonnait l’étendue déserte.
Cette marche se finirait bientôt, et alors il pourrait retrouver son coin, loin de l’horripilante lumière huileuse de la lune. Lors d’un brusque détour, il quitta le sol.
Et soudain, apparaissant sous lui, il le vit. Immense, ses ailes écailleuses déployées, sa gueule entrouverte dans un hurlement effroyable, ses yeux globuleux, blanchâtres, sans iris ni pupille le fixaient d’une lueur sinistre qu’accentuait l’étrange éclat de la lune. Les bosquets étaient devenus une forêt dense de pins, leurs troncs fantomatiques se dressaient tels une muraille infranchissable derrière le monstre. Exhibant sa monstrueuse magnificence, il s’imposait à son regard, s’y accrochait, y pénétrait, le pétrifiait dans une terreur sans nom, animale, qui lui hurlait : «Fuis !»
Retrouvant soudainement contact avec le sol, il se remit à tracer des lignes saccadées, essayant tant bien que mal d’échapper aux serres du monstre.
Aucune échappatoire ne semblait possible. Fuir ne rimait à rien, le monstre le retrouvait toujours.
Lorsqu’il lui sembla être happé par la bête, rien ne se passa, le draconide restait figé, la gueule ouverte. Ses écailles ne brillaient pas. Semblables aux troncs blafards des pins, leur éclat terne et monochrome donnait à la scène un curieux aspect plat et figée dans le verre.
Lorsqu’il regagna enfin sa place au milieu des copeaux, la lune s’éteignit enfin.
Clef : pointe de gravure (voir la gravure illustrant le poème Jabberwocky in Through the looking glass Lewis Caroll).
BABY DOLL
Flora
Elle a peur. Elle sait qu’il va bientôt rentrer. Comme tous les soirs des cinq premiers jours de la semaine, il rentre encore tout excité de sa journée, avec une seule envie, « jouer » avec elle, du moins c’est l’expression qu’il utilise pour définir les châtiments qu’il lui inflige…
Elle se rappelle à peine du début de leur relation. Les vagues souvenirs qu’il lui restait étaient agréables, apaisants. Elle en avait passé des nuits, blottie dans ses bras. À présent, il dormait avec d’autres, plus jeunes, plus belles… Les user à leur tour ne lui prendrait pas beaucoup de temps…
Il y prenait plaisir, à les salir, les piétiner, les briser l’une après les autres. Elle le savait, elle le sentait ! À la manière dont il la regardait, dont il chantait paisiblement en la frappant, la défigurant, elle la plus ancienne, la préférée, jadis la plus belle… Le temps où on l’admirait était loin maintenant. A présent, elle est borgne, recouverte de cicatrices, avec sa robe déchirée. Elle le sait bien qu’elle est la plus laide… Lui, se moque bien de l’apparence monstrueuse qu’il lui a donnée.
Dès son retour à la maison il part en trombe à la cuisine se délecter de Nutella puis vient la trouver dans le coin d’une pièce où elle a passé sa journée, seule dans le noir, attendant juste son retour pour la sortir de ses pensées mortifères. Parfois il lui parle simplement, se plaignant de sa journée, de sa fatigue mais le plus souvent, il lui crache toute sa haine envers le monde avant de la jeter violemment contre un mur, comme un objet…
Il retourne alors, apaisé, s’avachir sur le canapé en regardant Flash Mc Queen, la laissant à nouveau seule dans l’obscurité où le silence est brisé par un refrain sinistre :
« Dolly is pretty, are you surprise?
Dolly is so sad, sometimes she cry,
Dolly is afraid that has to stop,
Otherwise she is going to die »
Clef : Un enfant et un jouet.
Course folle
Emma
Le pilote de course s’élança sur la piste à très grande vitesse. Il atteignit une vitesse vertigineuse et tenta de suivre la longue et droite trajectoire.
Mais ayant mal amorcé la dernière courbe, avant la dernière ligne droite, le conducteur se mit à dévier, quitta le centre de la piste et vint buter brusquement contre le parapet, en bordure de la chaussée. Un bruit grinçant et strident se fit entendre, la carrosserie de la voiture se frottant sur plusieurs mètres le long de la surface métallique du parapet.
Une fois ce premier choc passé, le coureur automobile reprit sa course sur la piste glissante, rassuré de ne pas avoir été éjecté de la piste en finissant sur le côté. Il tenta de retrouver une ligne de conduite droite et sûre sur cette piste au revêtement parfait. Le public survolté encourageait le pilote et un tintamarre de cris et d’applaudissements résonnait dans les tribunes.
La ligne d’arrivée n’était plus très loin et il fallait finir cette course au plus vite. Le conducteur accéléra pour atteindre son objectif final. Il continua sa course à si folle allure qu’il ne parvint plus à maîtriser sa vitesse. Il dépassa la ligne d’arrivée et vint percuter tour à tour un ensemble de hauts et fins plots de sécurité proches les uns des autres, situés là pour sécuriser la zone d’arrivée. Le chauffeur du puissant et massif bolide fit tomber ces plots les uns après les autres.
Après cette succession de secousses et de chocs, le gagnant finit sa course, fier et heureux d’avoir remporté la victoire, conquérant, sous un tonnerre d’applaudissements et d’hurlements d’explosions de joie. Un écran lumineux s’éclaira en surplomb de la piste et afficha le mot «strike».
Clef : la boule de bowling. ; une partie avec glissière.
La saveur de la nuit
Laurie
Il faisait nuit noire, tellement que l’on ne pouvait distinguer ce qui se tramait à l’intérieur. Les murs de la construction étaient transparents. Celle-ci était assez haute et rectangulaire. La large et grande porte était blanche. A l’intérieur, c’était magnifique. Les couleurs que renvoyaient les personnes étaient multiples et nombreuses.
La porte blanche s’ouvrait et se refermait sans cesse au fur et à mesure que le temps passait, mais à chaque fois, c’était une personne qui s’en allait. Une fois qu’elles étaient sorties, on ne les voyait plus, elles disparaissaient. En adéquation avec la musique, lorsque tout le monde se mettait à danser, c’était comme un rythme bien régulier. C’était tellement bruyant que de l’extérieur, on pouvait entendre le vacarme de la même manière qu’à l’intérieur. De plus, il y avait juste assez de place pour tout le monde. Parfois même, le bâtiment semblait se soulever puis se remettre en place au rythme de la musique.
Alors, tout le monde se demandait quand il allait être son tour de s’en aller, car après chaque mouvement du bâtiment, quelqu’un disparaissait par la porte blanche. Mais était-ce normal qu’un bâtiment bouge ? Au fur et à mesure du temps, l’effectif diminuait. Cependant, tout le monde continuait de danser et les spots lumineux s’allumaient et s’éteignaient sans cesse. Ils éclairaient ainsi, en rythme, ce lieu divertissant qui faisait oublier en un laps de temps les tracas du quotidien.
Et puis les mouvements revinrent. Mais comment se faisait-il que personne ne donnait signe d’inquiétude, voire même que tout le monde prenne cela comme un fait rationnel ?
Alors le temps passa. La lumière était là puis disparaissait, les mouvements continuaient, et ainsi s’écoulait le temps.
Puis vint la fin. Cette fin où il ne resta plus personne. Seules demeuraient les bonnes odeurs fruitées et exquises de l’intérieur. Ils auront fait vivre un rêve à tous ceux qui étaient de passage, et qui, en disparaissant, garderaient le souvenir de ce lieu : le mot “ TIC TAC ” en lettres blanches sur fond vert.
Clé : L’histoire apparente est une soirée en boîte de nuit. En réalité, il s’agit d’une boîte de “ TIC TAC ” , des bonbons colorés et aux fruits. Les personnes qui disparaissent sont en réalité les “ TIC TAC ” qui sont pris de la boîte pour être mangés et les mouvements sont en fait la boîte qui est soulevée.
Départ vers d’autres horizons
Sarah
J’ai l’impression de me sentir attrapée, mais cette idée s’efface vite. Je sens l’envie de m’envoler. Me voilà encore une fois sur le point de partir, je suis alors propulsée dans les airs en hauteur et je reçois un petit coup qui me projette dans le vide à toute allure. Et, de plus en plus vite, mais cela dépend toujours de mon élan de départ. A mes risques et périls de percuter cette branche, à moi de choisir ma meilleure trajectoire. A chaque aller-retour, je l’évite au maximum. Dans le cas contraire, ce serait une fin brutale et sûrement mortelle. Il faut aussi que j’arrive à gérer ma vitesse et ma puissance, car si je pars trop loin je risque de ne jamais revenir… Et si je tombe on me ramassera sûrement… Mais serais-je encore apte à recommencer ? Mes plumes risquent de s’abîmer et peut-être même tomber. Et dans ce cas là, je risque de ne plus avoir d’utilité et de me voir mourir au fond d’une poubelle… Ne serait-ce point triste ? Mais pour le moment, je peux toujours continuer ma passion : voler de branche en branche jusqu’à ce que j’entende une drôle de voix crier : « FAUTE ! ». Je me sens alors tomber par terre. Plus un bruit durant quelques secondes avant qu’une amie commence à faire exactement la même chose. Mais elle a pris une branche à vive allure, la pauvre… J’entends alors un tonnerre d’applaudissements et c’est la fin…du set.
Clé : La trajectoire d’une balle de tennis
Bruit entêtant
Léa
Il ne lui reste plus que quelques secondes. Il le sait, car il vient de regarder l’heure. Assis dans son lit, il attend, il écoute le même bruit qui se reproduit toutes les secondes de toutes les heures.
A force, il s’y est habitué. C’est alors qu’une irrépressible envie de se lever le prend. Il ne peut expliquer, c’est plus fort que lui. Il ouvre donc la porte de sa chambre et sort.
C’est alors que quelqu’un ou quelque chose se met à le pousser. Il traverse donc toutes les pièces de sa maisonnette sans pouvoir s’arrêter. Plus il se rapproche du hall d’entrée, plus le bruit est intense. Le « TIC TAC » résonne sans cesse dans sa tête.
Il voit alors sa porte d’entrée. Ça va être à lui, il faut qu’il sorte. Il franchit alors sa porte et il ne peut s’empêcher de s’écrier « COUCOU » et cela douze fois. Il est minuit.
Lorsqu’il peut enfin s’arrêter de crier, un élan l’entraine soudain en sens inverse. Il retourne donc se coucher, du moins, jusqu’à la prochaine heure…
Clé : Le personnage est en faite le petit coucou qui se trouve dans l’horloge. Il sort toutes les heures.
Les parfaits
Naïs
Ils vivent une vie de couple plutôt banale, enfin presque. Elle, et lui, ils veulent être parfaits. Ils ne veulent pas que leurs visages, trop de fois modifiés, arrangés, s’encombrent de tâches synonymes de vieillesse. Tous les jours, ils ne se lèvent que pour une seule raison : ils espèrent qu’aujourd’hui ils atteindront la perfection.
Ils se lèvent. Elle sort de son lit, il la suit. Ils se placent côte à côte. « Qu’y a-t-il à changer ? » s’interrogent-ils. Tout, évidemment, comme d’habitude ! Ils ne savent pas pourquoi ils sont si insatisfaits de leurs apparences. D’où vient ce besoin inexplicable de changement ? Changer de forme d’œil, de visage, d’oreille ou de bouche.
Ils se détournent de leur reflet, sortent de leur chambre, enfilent des chaussures et un chapeau et quittent le lieu qui leur sert de demeure. Ils se rendent au cabinet chirurgical. Pour réaliser leurs modifications quotidiennes bien sûr ! Mais également car ils ont besoin d’une retouche (perdre un morceau d’oreille n’est, en effet, pas une chose très agréable). Une fois là-bas ils s’installent sur la table d’opération.
Pourquoi sont-ils là ? Ne se sont-ils pourtant pas juré de s’aimer éternellement ? De rester ensemble même si le visage de l’un ou de l’autre ne tenait plus en place ? Pourquoi ont-ils ce besoin d’atteindre une prétendue perfection? Dans le cabinet, on leur propose différents modèles de bouches, de nez et d’œil. Ils mettent peu de temps à choisir quels seront leurs futurs ornements. Après tout, ils changent de visages comme de vêtements.
Ils sont coincés dans cette quête interminable de la perfection. Avec le temps, leur peau se flétrira tel un vieux légume, et tous les charmants accessoires n’y changeront rien.
Elle choisit les parties de son visage à modifier et le chirurgien les assemble avec une dextérité peu commune. Il place une nouvelle oreille à son compagnon. Les voilà arrangés en un rien de temps. Le chirurgien se tourne alors vers eux et dit d’une vois douce et mielleuse : « Monsieur et Madame, vous êtes charmants ». Demain ils reviendront pour être à nouveau modifiés. A vrai dire, ils recommenceront éternellement.
Mais peu importe…
Clé : Les personnages « Monsieur Madame »