RENCONTRE AVEC SANDRINE COLLETTE
Les élèves de 1ère S2 après avoir lu Il reste la poussière de Sandrine Collette a rencontré la romancière le vendredi 26 janvier.
Portraits chinois des personnages du livre et de 4ème de couverture « à leur façon »…
Compte-rendu de la rencontre
Classe: Est-ce-que toute la violence présente dans le livre était nécessaire ? Y a-t-il un rapport avec votre vécu ?
Sandrine Collette: Dans un livre il y a toujours quelque chose de l’auteur ; la violence dans un milieu rural est très souvent familiale, or il faut savoir que, dans le milieu rural, le seul horizon c’est très souvent la famille et c’est aussi probablement le pire car il n’y a pas d’échappatoire. Je le sais car je suis issue d’un milieu rural. La violence du livre reflète la réalité ; il y a des endroits où les personnes sont privilégiées et d’autres qui vivent dans la violence et dans la difficulté.
Mais dans le livre la mère ne ressemble pas du tout à la mienne, je me suis surtout inspirée de personnages tels que les sorcières, qui représentent la méchanceté et la violence.
C: Quel est le genre du roman selon vous ? Car il est classifié dans la catégorie polar mais nous avons globalement trouvé que c’était plutôt un roman noir.
S.C: Oui, effectivement, le terme « polar » regroupe beaucoup de choses ! Mais c’est l’éditeur qui décide de la classification ; mais bon ce n’est pas grave, car la vraie chance ce n’est pas de décider de la classification de son livre mais d’avoir son livre publié par un éditeur ! Un roman est une partie de soi-même qui permet de transcrire des rêves, des choses qui ont été vécues par des proches. C’est un roman policier, une histoire noire mais il a été classé comme polar. Je n’étais pas d’accord avec avec cette idée car les polars sont souvent considérés comme des livres »mal écrits ». La « reclassification » de mon livre me rend plus heureuse étant donné qu’il a été finalement classé comme roman noir.
C: Le roman se passe en Patagonie et nous nous demandons si vous avez un quelconque rapport avec cet endroit.
S.C: Non je n’ai aucun rapport avec la Patagonie. En réalité je voulais à la base placer le roman dans l’ouest des États-Unis mais il y a déjà énormément de livres qui se passent dans cet endroit ; donc j’ai cherché une autre possibilité et j’ai pensé à la steppe mongole mais il y avait aussi pas mal de livres dont l’histoire se passe dans cet endroit.
Donc finalement je suis tombée sur la Patagonie en cherchant, car je savais déjà quels types de paysages je recherchais pour placer mon histoire. Et j’ai choisi ce lieu pour me démarquer.
Je réfléchis à l’histoire puis je fais un lien entre l’histoire et un lieu ressemblant qui peut correspondre. Je ne suis pas allée en Patagonie mais j’ai lu des documents historiques, sociaux, économiques, politiques pour apprendre l’histoire de ce pays.
C: Nous nous demandions comment vous avez écrit votre livre , par quoi vous avez commencé.
S.C: Au début le livre était »linéaire » sans point de vue interne ; pour avoir les différents points de vue, je me suis mise dans la tête des personnages pour avoir différents regards.Ce n’est pas un schéma classique avec le narrateur qui parle pour tous ses personnages, cela permet de suivre les personnages n’importe où ; le fait de changer de point de vue est intéressant. Cela donne une certaine puissance de se mettre dans la peau de plusieurs personnages même dans ceux que l’on n’aime pas. Les lecteurs s’interrogent sur eux-mêmes pour savoir ce qu’il va se passer, ce que les personnages vont faire. J’ai donc d’abord écrit mon livre à la 3ème personne du singulier. Mais vous savez, lors de l’écriture de mon livre, j’ai jeté entre 1/3 et 1/2 du roman en général. J’ai recommencé pas mal de choses car les personnages étaient au début beaucoup trop silencieux ; pour arriver à ce résultat, j’ai dû me mettre à leur place. J’aime faire des changements de point de vue car je peux avoir différents regards sur l’action et cela me rend « puissante », je suis une sorte de caméléon, ce qui me donne une imagination infinie. Quand j’écris mon histoire je fais un plan pour la construire. Tout doit être justifié ; je me demande si le personnage mérite le destin qui lui a été tracé ou bien un autre.
C: Nous nous demandions aussi comment avez-vous choisi les prénoms ?
S.C: Pour les prénoms, cela a été très long et compliqué, de longs jours de recherches ; c’est un peu comme chercher le prénom de ses enfants : soit on sait dès le début, soit on ne sait pas. Les prénoms sont importants dans une histoire : ça permet d’avoir de la résonance.Par exemple la mère n’a pas de prénom pour ne pas que certains lecteurs soient »comparés’’ à elle, il pourrait y avoir un impact sur le lecteur. Ne pas avoir de prénom signifie que ça peut être personne et tout le monde à la fois. Pour Mauro, également, puissant comme un boeuf, j’ai épluché beaucoup de calendriers différents pour trouver ce nom qui correspond un peu au personnage. Dans « Mauro », on entend « mort ». « Rafael » fait penser à l’ange.
C: Derrière la noirceur, peut-on parler pour ce roman de dimension sociale, à travers le racisme ou encore la mère ?
S.C: Ce livre n’est pas un livre engagé. Pour tout ce qui est de l’aspect social, en réalité c’est juste beaucoup de documentation : documentation internet , documents d’histoire et documents sociaux. On peut inventer l’histoire des personnages mais ce qui est autour doit être cohérent.
Il ne fallait donc pas qu’il y ait d’incohérences par rapport au lieu et à l’époque qui, en l’occurrence, est le début de la mondialisation : exportation de viande, bateaux frigorifiques, expropriation des éleveurs d’Argentine. Tout ce fond social est utilisé pour donner de la profondeur au livre. Ce livre est lent pour un livre noir, il y a un côté cyclique (par exemple les saisons, le moment de la tonte des bêtes). Enfin la mère ne veut rien changer à la façon d’élever ses enfants .
C: Est-ce-que la construction du roman était prévue ?
S.C: Oui, par exemple j’ai choisi 30 chapitres donc 30 points de vues et 30 mots-clefs. Dans un livre il n’y a rien qui ne doit servir à rien, tout se justifie même la violence.
C: Certaines personnes de la classe trouvent que la fin n’est pas cohérente, d’autres pensent le contraire. Vous qu’en pensez-vous ?
S.C: A la fin le choix de Rafael, au moment où il récupère le sac, son idée première c’est que tout va changer et effectivement tout change mais en mal : l’argent a apporté un sentiment de malheur sur la famille alors il a voulu s’en débarrasser ce qui est improbable, car tout le monde n’aurait pas fait ce choix là. Pour moi, cette fin a été difficile à écrire.
C: Nous nous demandons aussi pourquoi un chapitre « mystique » sur la mort de la mère dans un roman aussi réaliste ?
S.C: Je me suis fait plaisir en faisant parler un personnage qui était mort (après tout pourquoi pas voir la mère comme une poule dont on vient de couper la tête et qui caquette encore un peu avant de rendre son dernier souffle). Ce chapitre apporte un sentiment de doute : est-elle morte ? Est ce qu’elle a été enterrée vivante ? Il faut un certain moment de réaction pour le lecteur, ce qui apporte un côté magique, surnaturel dans l’histoire. La mère est tellement »forte » qu’elle peut parler même en étant morte. Pour moi, écrire ce passage était drôle.
C: Dans ce roman réaliste il y a aussi un certain concours de circonstances, quant à l’obtention de l’argent par Rafael. Cela est-il vraiment possible ?
S.C: Oui, pourquoi pas ? C’est peu probable mais cela pourrait arriver et puis je crois aux coïncidences.
C: Comment avez-vous construit la famille ? Avez-vous commencé d’abord par Rafael par exemple, ou est-ce-que vous avez eu une idée très claire des le début quant à la composition de la famille ?
S.C: Mon idée de départ c’était une famille monoparentale, mais la question que je me suis posée c’était de garder le père ou la mère ? J’avais aussi l’idée d’une famille rude, toxique…
C: Dans le roman nous avons droit à des scènes quelquefois dérangeantes. Pourquoi ce choix-là ?
S.C: Parce que la vie est faite ainsi ! La violence est naturelle. Vous savez, je viens d’un milieu rural où se produisent les scènes que je raconte dans le roman.
C: A quoi sert l’histoire personnelle du vieux ?
S.C: Certaines scènes sont inutiles mais elles restent quand même. Cette histoire sert à aborder une réflexion sur la mort.
C: Y a t-il des passages auxquels vous avez renoncé ?
S.C: J’ai écrit ce livre très vite, à la base il faisait 180 pages donc il avait besoin au contraire d’être fourni un peu plus. Je n’ai jamais renoncé à un livre par manque d’idées, mais certains passages du livre ont été réécrits entièrement..
C: Y a t-il des façons différentes d’écrire un livre ?
S.C: Il y a selon moi deux types d’auteurs différents : la première catégorie a beaucoup d’idées mais a le fameux souci de la page blanche et la deuxième catégorie n’a pas beaucoup d’idées mais n’a aucun mal à écrire. Ce livre a été écrit assez rapidement : j’ai mis 4 mois d’écriture une fois l’idée trouvée, mais ça m’a pris un an en tout. En ce qui me concerne je n’ai pas de problème d’écriture (de page blanche) mais des problèmes d’idées.
C: Le mot « poussière » revient souvent : d’abord dans le titre ,puis dans le livre à plusieurs reprises. Pourquoi avez-vous choisi ce titre pour votre livre ?
S.C: La fameuse question épineuse du titre ! Alors en réalité, cette histoire de titre est une sorte de guerre avec l’éditeur, c’est-à-dire que personne n’est d’accord Vous savez, un titre c’est un peu comme un CV ,donc ce doit être attirant. Après plusieurs propositions de titre pour mon livre de ma part, à la base le livre devait s’intituler Le Chien dans l’œil gauche de Rafael, l’éditeur et moi-même avons choisi un titre qui est certes beaucoup plus accrocheur mais qui me plaisait un peu moins (Il reste la poussière). Le titre sert à inciter les lecteurs à lire la quatrième de couverture.
Le mot »poussière » commence avec Rafael qui se fait traîner par ses frères et termine le livre quand Steban part de l’estancia.
C: Pour la 1ère de couverture, est-ce-que c’est vous qui avez choisi ?
S.C: Alors non, j’ai juste choisi entre plusieurs propositions faites par l’éditeur et je dois avouer que je ne suis pas totalement fan. Selon moi, la page de couverture doit être attirante ainsi que le titre (choix des couleurs, de l’écriture du titre…). L’illustration de la première de couverture n’est pas forcément attirante pour le lecteur.
C: C’est un roman assez descriptif, comment avez-vous donné du rythme à ce roman ?
S.C: C’est assez instinctif, c’est un roman assez lent et cyclique qui a un fort rapport aux saisons qui passent et reviennent.
C: Y a t-il une adaptation cinématographique de prévue ?
S.C: Alors oui c’est prévue. Mais vous savez, pour un auteur il y a deux consécrations : premièrement la traduction dans d’autres langues et deuxièmement une adaptation cinématographique ; mais on prend le risque de perdre tous les droits, donc de voir tout changer ( titre, noms des personnages…) ce qui ne serait plus mon livre. Mais quand on nous propose une adaptation au cinéma on ne peut pas refuser une telle offre.
C: Vivez-vous de vos livres ?
S.C: Oui, j’arrive à vivre de mes livres, je gagne environ 50000 euros par an, en fonction des ventes. Je touche environ 10 % du prix de vente.
Pour les revenus je signe un contrat en fonction des ventes de livre (80 000 livres vendus par an + les poches).
C: Pourquoi tant de violence ?
S.C: La violence du livre reflète la réalité, il y a des endroits où les personnes sont privilégiées et d’autres qui vivent dans la violence et dans la difficulté.
C: La fin est un peu brutale, envisagez-vous une suite pour ce roman ?
S.C: Je pense à une suite de l’histoire mais avec la crainte qu’elle ne soit pas à la hauteur de ce roman et donc de décevoir les lecteurs. Dans environ 80% des cas la suite est un échec.
C: Aimez-vous les livres numériques ?
S.C: Non pas trop, je préfère avoir un vrai livre entre mes mains ; en revanche j’écris mes romans sur l’ordinateur.
C: Faites-vous une autre activité que l’écriture ?
S.C: A côté de l’écriture, je ne travaille plus, depuis 4 ans, et l’écriture me prend 2H maximum par jour car sinon je n’arrive plus à me concentrer. J’ai donc plutôt une vie »libre ».
C: Avez-vous des auteurs qui vous influencent ?
S.C: C’est difficile à dire, peut-être. Plusieurs auteurs ont sûrement influencé un passage d’un livre. J’ai quand même une préférence pour les auteurs contemporains comme Alessandro Baricco mais aussi Laurent Gaudé qui a écrit Le Soleil des Scorta. J’apprécie beaucoup le roman de l’écrivain chilien Luis Sepulveda : Le vieux qui lisait des romans d’amour.
Pour moi, l’imagination c’est comme le corps : un cercle vertueux, un effet d’entraînement ; plus on s’entraîne, plus ça marche.
C: Avez-vous déjà renoncé à un livre ?
S.C: Non, mais j’ai déjà douté ! Je ne renonce jamais à un livre même quand je n’ai pas d’idée.
C: Avez-vous des projets ?
S.C: Oui ,j’ai déjà des idées pour 2 ou 3 livres .
C: Avez-vous des premiers lecteurs dans votre entourage proche ?
S.C: Au tout début oui, mais j’ai été assez déçue par cette expérience ; donc maintenant le premier lecteur c’est l’éditeur. Je ne parle plus de mes livres à mes proches car j’ai déjà eu des retours négatifs (par exemple: le prénom choisi est nul…). J’en parle seulement à mon éditeur car il a un avis professionnel, il ne dit que ce qu’il pense, ce qui pourrait s’améliorer… S’il n’aime pas le livre, il ne prendra pas le risque de le publier.
C: A-t-il été difficile pour vous de publier votre premier livre ?
S.C: Non aussi étonnant que cela puisse paraître, car normalement c’est assez compliqué de publier son premier livre, j’ai eu beaucoup de chance.
C: Avez-vous des thèmes récurrents ?
S.C: Non pas vraiment, mais le thème de la famille et de la survie sont récurrents dans mes livres.
C: Il y a une marque Sandrine Colette ?
S.C: Pour moi non, mais d’après les retours que j’ai il semblerait que oui. Il reste la poussière reste à part de mes 6 livres, car c’est compliqué de changer de style et c’est un risque.