Arlequin poli par l’amour


L’article d’Emilie sur la pièce mise en scène par Thomas Jolly


Marivaudages, métamorphoses et …moutons !


A la scène nationale d’Albi, Thomas Jolly met en scène une version modernisée et propice aux rires d’ Arlequin poli par l’Amour de Marivaux.

Pour les personnes ne connaissant pas cette comédie, ou qui ont simplement besoin d’un rafraîchissement de mémoire, en voici un court résumé : une Fée cède à la beauté d’un jeune homme, Arlequin, et l’enlève. Malgré son apparence, celui-ci est tout ce qu’il y a de plus bête, au grand désespoir de la Fée. Un jour, Arlequin rencontre la belle Silvia, une bergère. C’est l’amour fou, un amour qui va « polir » Arlequin, d’où le titre de la pièce. La Fée finit par découvrir la relation entre les deux amants et, aveuglée par la jalousie, met en place un terrible plan pour y mettre fin.

N’ayez crainte, la pièce se termine sur une note heureuse chez Marivaux, mais d’après la mise en scène de Thomas Jolly, c’est une histoire différente, que nous aborderons plus tard.

Commençons par planter le décor : au début de la pièce, des draps blancs sont suspendus au fond de la scène, un jeu de cache cache entre les comédiens se fait autour d’eux, puis ils seront successivement arrachés par la suite. De façon plus importante, au moment de la scène de baiser entre Arlequin et Silvia, un autre drap blanc, sur lequel est inscrit le nom de la pièce, coupe la scène en deux horizontalement. Plus tard, nous comprenons son utilité bien pensée : il sert à montrer l’invisibilité d’un personnage par rapport au personnage situé sur le devant de la scène, notamment au moment où la Fée porte son anneau qui la rend invisible. Il permet également de cacher les scènes de déshabillage des personnages. L’utilisation du drap est d’autant plus réussie qu’il sert au moment même du baiser pour y donner une sensation de triomphe mais aussi, dans la durée, pour suggérer l’invisibilité d’un personnage. Pour finir avec le décor, de grosses ampoules sont suspendues au plafond.

Les comédiens les manipulent afin de créer des jeux d’ombres, parfois hypnotisants, sur le drap. Cela donne un délicieux effet de mouvement à l’ensemble de la pièce, le spectateur ne peut s’ennuyer. En fonction de l’éclairage des ampoules, qui ne sont pas toujours toutes allumées et de même intensité, nous comprenons facilement lorsqu’il y a un changement de lieu ou d’ambiance. De plus, les ampoules donnent une certaine dimension féerique à la pièce qui se passe d’ailleurs dans un monde merveilleux où la magie ne semble pas surprendre les humains. Quand ce type de lumière n’est pas utilisé, des projecteurs affichent par terre une lumière soit rouge, pour représenter le château de la Fée, soit vert, pour représenter la prairie.

Dans celle-ci, lors de la scène du baiser, des centaines de confettis sont envoyés sur les spectateurs, créant avec la tombée du drap un moment magique, c’est l’apogée de l’amour. Les confettis restent au sol jusqu’à la fin de la pièce : l’amour laisse des traces.

De nombreux autres accessoires sont utilisés, dans la prairie, comme un ensemble de ballons de baudruche pour imiter la peau de mouton, un énorme ballon qui est l’objet de la rencontre entre Arlequin et Silvia, le foulard de Silvia que ramène Arlequin puis, dans d’autres scènes, la baguette de la Fée, un piano pour divertir Arlequin,….

La blancheur des accessoires utilisés dans la prairie rappelle le premier costume d’Arlequin : nous pourrions le comparer à un pyjama blanc simple, il est également coiffé d’un béret blanc. Nous associons la couleur et le style du costume à l’enfance, l’innocence, c’est un Arlequin qui ne connaît pas l’amour. Tout au long de la pièce, son costume s’assombrit, il finit vêtu d’une « cape » noire et rouge. Ce changement montre clairement la métamorphose d’Arlequin d’enfant innocent en un adulte aveuglé par l’amour et la puissance.

Silvia porte un gilet et un haut rouge, un bas simple, un costume que nous pourrions qualifier de contemporain.

Arlequin et elle portent des vêtements d’ « humains » contrairement aux autres comédiens, dont les costumes appartiennent à un monde de féerie mais qui tournent vers le ridicule : jupes imposantes pour les femmes, salopette blanche, pantalon et chapeau noir pour les hommes.

Des costumes de moutons sont aussi utilisés dans une scène mémorable qui provoque rire aux éclats de la part des spectateurs.

En effet, cette mise en scène d’Arlequin poli par l’amour traite avec humour de la découverte du sentiment amoureux, la métamorphose d’une personne qui tombe amoureuse. La pièce nous montre à quel point le sentiment amoureux mais également la jalousie peuvent nous aveugler.

Il y a aussi un thème secondaire : Trivelin trahit la Fée car celle-ci trompe Merlin et car elle se montre cruelle envers les amants.

De plus, à la fin du spectacle, Arlequin, abuse de son pouvoir et abat les serviteurs de la Fée, l’amour lui a trop donné confiance, et bien que la comédie de Marivaux se termine bien, celle de Thomas Jolly nous laisse douter : c’est une des principales différences avec la pièce originale. Arlequin donne des ordres à Silvia et se montre brusque avec elle et lors de la dernière scène, la séparation des deux personnages avec le drap nous laisse nous demander si Silvia choisira amour ou éthique.

Les autre changements par rapport à la pièce de Marivaux sont des ajouts, principalement des scènes comiques et, dans la toute première scène les comédiens lisent à haute voix une citation qui nous fait plonger directement dans le thème omniprésent : l’amour.

A certains moment de la musique, soit rock, soit classique, est jouée, ce qui parvient à amplifier nos émotions et qui parfois nous fait penser au cinéma.

La constante fluctuation des voix des comédiens ; tantôt des chuchotements, tantôt des cris ; et des intonations rendent, comme les ampoules, la pièce dynamique.

Les comédiens qui jouent Arlequin et Silvia, Romain Tamisier et Charlotte Ravinet, incarnent très exactement deux jeunes amants, animés par l’amour qui les habite : ils courent, sautent, nous ressentons leur joie et leur désir, c’est comme si nous vivions notre premier amour en même temps qu’eux.

D’un autre côté, les comédiens qui incarnent les serviteurs, Rémi Dessenoix et Ophélie Trichard, font rire en chantant et en dansant, tandis que la rage de la Fée, Clémence Solignac, se fait aussi bien entendre que ressentir.

Cette mise en scène de Thomas Jolly s’appuie sur la pièce de Marivaux tout en la rendant dynamique grâce au décor original, aux accessoires, au son et au mouvement.

Les jeunes comédiens apportent force, émotions et humour à cette pièce qui traite de la découverte amoureuse.

Une mise en scène qui fait revivre le théâtre d’autrefois : à ne pas rater !

Emilie BONNET (2de 5)