Critique de Valentine / Goncourt des lycéens

Des clandestinités romancées

En débutant l’écriture de son roman La Vie Clandestine, paru
en août 2022 aux éditions Gallimard, l’écrivaine milanaise Monica
Sabolo ne pensait pas aborder sa vie, tout juste raconter l’histoire
d’Action Directe, groupe terroriste d’extrême gauche français ayant
sévit dans les années 80. Une histoire a priori parfaitement éloignée
de la sienne… Monica Sabolo est née à Milan en 1971 d’un géniteur
qui ne la reconnaît pas, mais passe la majeure partie de son enfance
et adolescence à Genève auprès de sa mère et de son père Yves S.
arrivé dans sa vie à ses 3 ans. Dans son roman, elle aborde de manière
implicite l’inceste qu’elle a subi, mêlé à l’histoire d’Action Directe
lui permettant ainsi de ne pas affronter frontalement les démons de
son passé. C’est un récit pour le moins déstabilisant, qui oscille entre
deux réalités intimement liées. Venez dès à présent découvrir ce qui
fait de ce roman un coup de cœur de la rentrée littéraire 2022.

Un sujet qui en amène un autre, un nouveau regard posé sur le passé…
En découvrant l’histoire d’Action Directe trente ans après leurs
activités, Monica Sabolo croyait avoir choisie la facilité, le sujet parfait
pour son prochain roman. Un sujet qu’elle aborde à travers les figures
féminines de l’histoire, entre autre Joëlle Aubron et Nathalie Ménigon, un
sujet inconnu de la nouvelle génération. Est-ce que beaucoup d’entre nous
savons ce qu’est Action Directe ? En avons-nous déjà même entendu
parlé ? Ce livre allie parfaitement le documentaire et l’autobiographie.
L’histoire même de l’autrice se fond dans celles de ces personnages qui
ont marqué les années 80 en France et ailleurs. Le récit est fluide,
permettant ainsi de ne pas démêler le vrai du faux du passé de l’écrivaine.
Celle-ci nous décrit une enfance bourgeoise soumise à un père aux
activités occultes, qui voyage beaucoup mais qui l’effraie également. Elle
dépeint l’appartement genevois où sa famille a longtemps vécu, la
séparation de ses parents mais également le moment où elle a appris que
Yves S., l’homme qui l’a élevé et terrifié, n’est pas son père biologique…
Ce n’est qu’à vingt-sept-ans que sa mère lui a appris sa vraie histoire. A
travers la jeunesse de sa mère, Monica Sabolo retrace sa petite enfance
aux côté d’une grand-mère aimante et d’un grand-père aux premiers
abords distant. Dans le même temps, elle mène l’enquête sur le meurtre de Georges
Besse et les attentats commis dans des banques et autres lieux
considérés par Action Directe comme des piliers du capitalisme. Monica
Sabolo apporte un regard nouveau sur deux passés à priori distincts, qui
ne demandent qu’à être exploré, rendant son livre très attrayant pour tout lecteur.

Des remords inexistants, des familles déchirées…
En abordant de cette façon l’histoire de sa vie, l’écrivaine nous
offre une véritable réflexion sur la famille. Comment vivre quand des
drames surviennent au sein de sa famille ? Monica Sabolo considère sa
mère comme l’unique héroïne de son histoire. C’est la seule qui, des
années après les faits, a su lui dire pardon pour le mal qu’Yves S., son
père, lui avait fait. La seule qui en a eu le courage. Pourquoi n’a-t-elle

rien fait au moment des faits ? Du moins, a-t-elle essayé de faire quelque
chose ? On ne peut ni le savoir, ni le comprendre, comprendre la
psychologie d’une mère tiraillée entre le bonheur de sa fille et l’équilibre
de sa famille reposant sur l’image bourgeoise que son couple transmet.
Une vie purement matérialiste. Son roman pose alors la question de la
culpabilité et du remord. En effet, son père n’exprime aucun remord à
avoir abuser d’elle. Il ne cherche même pas à comprendre le
besoin qu’elle a d’en reparler bien des années plus tard tant il trouve ça
normal : « Ce genre de chose arrive tout le temps, dans les familles ». Ce
passage de sa vie est mis en relation avec le fait qu’aucun des membres
d’Action Directe n’ait jamais exprimé aucun remord, aucune culpabilité
pour les actes horribles que le groupe a commis. Certains membres ont
peut être déjà pensé aux familles qu’elles ont détruites, celle de Georges
Besse en particulier sachant qu’il a été tué en bas de chez lui, mais aucun
ne s’est publiquement exprimé ou même encore excusé au sujet de ces
différents drames. Y voyaient-ils tous une certaine normalité ? Est-il
normal de tuer pour servir une idéologie ? Est-il acceptable d’abuser de
son enfant et de l’associer à la normalité ? Les réponses me paraissent
évidentes.

« Ce genre de chose arrive tout le temps, dans les familles »

Des récits entremêlés dans « le secret, le silence et la violence » qui
deviennent une seule et même histoire.

En découpant son roman ainsi, Monica Sabolo arrive à ce que
chacune de ses cinq parties soit liées à la fois à son histoire personnelle et

à l’histoire d’Action Directe. Au début, l’intérieur de ces parties
contient de manière distincte des passages des deux histoires puis petit à
petit cette séparation devient flou. Par exemple, dans la première partie,
elle nous replace dans le contexte historique mais surtout politique du
mouvement AD et entre autre dans sa petite enfance milanaise. La partie
alterne entre un chapitre sur le groupe terroriste et un chapitre sur sa vie
personnelle. Seul lien, l’évocation des Brigades rouges et du terrorisme
internationale : « Ma mère n’a aucun souvenir de cet évènement. Ses
amis, la télévision, les journaux parlaient des Brigades rouges, de la
révolution, des attentats, les gens étaient nerveux, exaltés ou terrorisés.

Pas elle. ». Le titre « I. Le Crime » est évocateur du meurtre de George
Besse et de sa naissance, suite à la liaison de sa mère avec un homme
marié. Puis, au fur et à mesure que son roman avance, que l’histoire de ce
groupe terroriste fait remonter à la surface ses souvenirs, les passages de
sa vie se fondent dans le véritable documentaire, pour ne former qu’une
seule et même histoire. Ce qui devait être au départ un récit totalement
éloigné de sa vie devient une véritable « libération de la parole » de
l’autrice. Chaque partie fait écho à un double sens. « IV. Face-à-face » est
celle où ce double récit fondu dans une même histoire est le
plus marqué, le plus explicite. Monica Sabolo raconte la première
confrontation avec la justice d’Action Directe qu’elle mêle aux souvenirs
de la dernière fois qu’elle a vu son père et de son enterrement ainsi qu’à
son propre face à face avec Nathalie Ménigon. Ici, elle fait quelques
allusions à son père mais son passé est enseveli par le passé d’Action
Directe et le présent qu’elle aborde avec les membres de cette
organisation.

Des sujets tout de même familiers et d’actualité.
En dévoilant l’inceste commis par son père à son égard, Monica
Sabolo met des mots sur des actes qui touchent ou ont touché près d’un
dixième de la population française. Un sujet sensible que peu de monde
ose abordé. Aux premiers abords, le parallèle avec Action Directe peut
sembler flou. Alors qu’à l’heure actuelle le terrorisme est au cœur de nos
vies : la peur d’un futur attentat, les mesures de sécurité à l’entrée des
établissements publics, la tendance est à oublier le terrorisme français du
passé, à l’occulter tout comme l’oubli des victimes d’abus. Le terrorisme
religieux est mis en avant, est dénoncé. Nous faisons des
généralités, nous disons que le terrorisme vient de l’étranger, des
étrangers tout en mettant sous silence le terrorisme interne de notre pays.
La même chose est fait pour les victimes d’abus, presque aucune
reconnaissance, un manque de prise en charge… La Vie Clandestine
constitue alors un rappel des évènements qui ont touché la France dans les années 80. Un rappel pour la conscience collective que le danger peut être
autour de nous. Très proche de nous. Comme l’est l’inceste pour les
victimes. L’histoire de Monica Sabolo fait alors écho à des millions de
personnes ainsi qu’à plusieurs générations. Son roman est une pure
dénonciation, une mise en avant des victimes : victime d’abus si l’on suit
son histoire, victime du terrorisme si l’on regarde celle d’Action Directe.
De plus, l’histoire d’Action Directe fait écho à une question d’actualité :
la violence est-elle toujours la solution pour faire bouger le monde ? A.D.
voulait résoudre les choses avec des tueries et des attentats à la bombe,
aujourd’hui des militants jettent de la soupe sur des œuvres d’art et se
collent au mur : quelle est la meilleure solution entre les deux ? Les uns
combattaient le capitalisme, les autres militent pour l’écologie, ont-ils
choisi la meilleure des solutions pour soutenir leur cause ? Que faut il
faire pour défendre une cause ? Tout cela peut vous paraître flou, mais ce
roman est le témoignage d’une vie, de vies. Les vies de personnes ayant
vécu dans la clandestinité, soit pour mener à bien leurs actions, soit pour
se protéger des traumatismes de l’enfance.

Ce roman peut au départ en dérouter plus d’un, à la vue de ses
chapitres très condensés en informations. Toutefois, je recommande aux
lecteurs peu informés sur Action Directe de s’y plonger et de se
laisser porter par l’écriture très fluide de Monica Sabolo dans un univers
mêlant violences terroristes et vie bourgeoise des années 80. Je ne
connaissais rien d’Action Directe, tout comme la majeure partie de mon
entourage de ma génération, et je me suis retrouvée happée par l’histoire
de cette organisation. De plus, l’histoire personnelle de l’écrivaine est très
touchante avec la vie mystérieuse de son père, a priori légèrement
romancée, et sa vie à elle, traversée par plusieurs drames dignes d’un film
hollywoodien. La Vie clandestine, c’est le voyage de Monica Sabolo qui s’est parfois perdue
dans les souvenirs des autres mais aussi dans les siens…